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la guerre de 1870 - 1871 dans l'Ain : les Corps Francs

            La première demande de formation de corps francs est adressée au préfet de l'Ain, le 31 juillet 1870, par Noël le Mire, de Dortan. Ce dernier, suite à la déclaration de la guerre, veut se rendre utile. Il essaye d'intégrer la Garde Nationale Sédentaire mais ne peut pas entrer dans les cadres de la Garde Nationale Mobile de l'arrondissement de Nantua, le corps étant en surnombre par rapport à la troupe. Après avoir lu une circulaire du ministre de l'Intérieur au préfet du Nord sur les corps francs dans le journal, il se résout à en parler à une cinquantaine de concitoyens de Dortan, afin de former un parti de francs-tireurs dans le Haut Bugey. Le Mire, servi par sa condition sociale (il est le propriétaire du château de Dortan), correspond au type de bourgeois bonapartiste par choix face à la peur de la montée du socialisme ouvrier incarné par la République de 1848. En effet, le Mire est un négociant d'ornements religieux, ayant fait fortune à Lyon, qui jouit d'une grande réputation. Clérical et légitimiste, sa demande est favorablement transmise au préfet de l'Ain, par le sous-préfet de Nantua, le 2 août 1870. Le Mire, étant proposé pour être chef du corps franc à cause de sa fortune et de sa possibilité à financer cette entreprise, à un moment où les finances publiques, en mauvais état, sont toutes entières au service de la guerre.

            La seconde demande de formation de corps francs dans l’Ain est adressée au préfet par Paul Cottin, fin août 1870, déjà connu par le ministre pour être l’auteur d’une brochure sur l’organisation de l’armée. Informé qu’il doit désormais s’adresser au ministre, Paul Cottin demande l’autorisation pressante de lever un corps de francs-tireurs dans l’arrondissement de Nantua. Il veut prendre modèle sur les francs-tireurs du Gouvernement de Lyon. Homme riche et influent, il use de sa position pour faire infléchir le ministre en sa faveur : “ je crois néanmoins devoir vous assurer que j’occupe dans mon département de l’Ain une position personnelle et une position de famille et de fortune présentant toutes les garanties désirables d’ordre et de raison ” [1]. Cottin ne sera pas un chef de bande républicaine. Plus que cela, son déterminisme et sa confiance lui font même adresser par l’intermédiaire du ministre un reproche au général Trochu, commandant les Gardes Nationaux Mobiles de l’Ain, à Paris : “je n’ai pas pour vous une grande estime…mais j’éprouve une impression pénible lorsque je vous ai vu…prendre une part si considérable au mouvement de ceux qui ont proclamé sa déchéance ”[2] . Cottin est plus bonapartiste que Napoléon III. Malgré que le ministre renvoie le courrier de Cottin au préfet de l’Ain pour avis, le 8 septembre, il lui accorde l’autorisation, le 12, de former une compagnie de francs-tireurs : le Gouvernement ne peut pas refuser d’armer un ami de l’ordre alors que la République est proclamée et que les troubles révolutionnaires grandissent. Dès le 16 septembre 1870, Cottin forme son corps de Francs tireurs du Bugey. Après un scrutin secret, il est élu capitaine. Le corps compte un lieutenant et 40 hommes venant de 10 communes du Bugey financer par Cottin. Mais les fusils et les munitions manquent tant et si bien, que le 14 septembre, le préfet de l’Ain demande des fusils, en état de fonctionner, pour son corps de francs-tireurs qui doit se diriger sur le frontière avec la Saône et Loire.

            La troisième demande de formation de corps francs dans l’Ain est symptomatique de l’élan patriotique et républicain qui plane sur le département. En effet, elle émane du comité cantonal de défense de Pont d’Ain, qui annonce au préfet, en octobre 1870, sa volonté d’organiser une quinzaine de compagnies de guides-éclaireurs, pris parmi les gardes nationaux non mobilisables, aux frais des communes du canton. Cette unité n’est alors pas assimilé aux francs-tireurs mais aux corps francs et est résultante de la volonté d’un groupe de citoyens organisés qui agissent de leur proche chef sans autorisation préfectorale préalable, bien qu’afin de faciliter l’organisation de leur corps-francs, le comité de défense cantonal demande au préfet de l’Ain l’obtention de 50 fusils chassepot ou de carabines se chargeant par la culasse, type Spencer.

La quatrième demande vient de l’instituteur de Créssin-Rochefort, le 11 octobre 1870, Benoît Arduin, “ enfant des Alpes ” car natif de Briançon, qui demande l’autorisation au ministre de la Guerre de s’engager comme franc-tireur pour la durée de la guerre. Sa demande d’engagement et d’armement reçoit le soutien du maire de la commune et du sosu-préfet de Belley. Si il reçoit l’autorisation de s’engager, du préfet le 26 octobre, sa demande d’armement et d’équipement est refusée par le commandant d’arme de la 8e division militaire le 28.

Le 31 octobre 1870, une nouvelle demande d’autorisation venant du maire de St Martin de Bavel, Louis Carrier fils du général, est envoyée au préfet de l’Ain, le 31 octobre 1870. Ce dernier, fort du soutien du sous-préfet de Belley et membre du corps de Cottin, demande l’autorisation de lever une compagnie de francs-tireurs pour servir d’avant garde et d’éclaireurs aux troupes chargées de la défense du département.

Le 3 novembre, après une discussion avec le préfet, M. Baucit qui a rencontré Cottin à Besançon, sur un papier entête de l’hôtel de France de Bourg, demande au préfet l’autorisation pour former une compagnie affectée spécialement à la défense des défilés en montagne, ce qui permettrait de s’attaquer au ravitaillement de l’ennemi. Cette compagnie doit être formée de chasseurs audacieux et deviendrait la 2e compagnie des francs-tireurs du Bugey, surnommée la compagnie des vengeurs de l’Ain. Cette dénomination, qui rappelle des corps de volontaires de 1793, est très importante pour Baucit qui, à la manière spartiate de la Convention en l’an II, voit en elle la justification de l’engagement de ses hommes : “ un jour quand notre cher département n’aura plus rien à craindre, l’on puisse dire en voyant ceux qui en avaient fait parti – il était de la compagnie des vengeurs ”[3]. Baucit agit en républicain de 1793, il n’a pas de finance pour équiper et armer ses hommes, mais il propose aux communes d’équiper un homme chacune. Une différence sur l’emploi des corps de francs-tireurs se fait jour entre Cottin, le bonapartiste, et Baucit, le républicain. Le premier désir être employé auprès des troupes de ligne sur la ligne de front, tandis que le deuxième désir le combat sur une terre connue et la défense du département.

Le 11 novembre, c’est au tour de M. David, natif de Nantua et fils d’un ancien soldat d’écrire au préfet de l’Ain pour obtenir l’autorisation de lever un corps de francs-tireurs dans l’Ain. En effet, David est alors chef de la subdivision de la Légion Franc-comtoise du Rhône. Mais déçu par l’attitude couarde des administrations lyonnaises, le manque d’énergie des bourgeois lyonnais qui dirigent le comité de défense régional, il se retourne vers l’Ain “ il ne serait pas difficile de trouver dans le département de l’Ain si renommé pour son patriotisme 150 hommes, soit anciens douaniers, soit contrebandiers, soit anciens soldats, qui ne demanderaient pas mieux que de défendre leur pays. Je crois que je les trouverai dans le Haut et Bas Bugey et le Pays de Gex, la Bresse nous fournirai aussi son contingent ” [4]. Si la motivation de Le Mire et de Cottin est bonapartiste, celle de David est républicaine ; “ J’ai le lendemain de la proclamation de la République résiliés tous les marchés…pour que les fonds destinés aux travaux que j’avais entrepris soient reportés à la défense de la Patrie. Je me suis mis aussitôt à former une compagnie de francs-tireurs…casernée chez les frères de la doctrine chrétienne ”[5]. Possédant déjà un embryon d’unité, il demande 150 fusils Enfiel avec leurs munitions, des blouses grises ou noire, des souliers et des guêtres de feutres et “ pour le reste nous nous chargerons de la prendre aux prussiens ”[6]. Le corps de francs-tireurs semble organisé au 11 décembre 1870, puisque 25 francs-tireurs francs-comtois, sous la direction d’un sergent major, couchent à Bourg, le 10, sur leur route pour l’armée de la Loire

L’utilisation des corps de francs-tireurs de l’Ain est très différente. Si dès la fin septembre 1870, le corps de Cottin est à Besançon et que des francs-tireurs engagent des cuirassiers blancs à Dreux, une partie d’entre eux reste dans le département et sécurise les passages vers Dortan et Matafelon. A Tours, un corps franc de l’Ain est amalgamé avec 104 suisses pour former les francs tireurs de l’Ain. Ils sont actifs le 23 novembre 1870. Placés sous le commandement du capitaine Paul Jayr, nommé le 22, chaque homme touche 1 franc par jour à leur entrée en guerre.

Le 5 février 1871, un décret demande la dissolution des corps-francs qui n’ont pas été reconnu susceptible d’appartenir aux corps d’armées des généraux Charrette, Lipowski et Cathelineau, comme éclaireurs.

 

Jérôme Croyet, Docteur en Histoire,

 

cours donné à l’Université Tous Ages, Lyon II. Année universitaire 2003 - 2004

 



[1] Lettre de Paul Cottin au ministre de l’Intérieur, n.d. A.D. Ain 4R.

[2] Lettre de Paul Cottin au ministre de l’Intérieur, n.d. A.D. Ain 4R.

[3] Lettre de Baucit au préfet de l’Ain, 3 novembre 1870. A.D. Ain 4R.

[4] Lettre de David au préfet de l’Ain Puthod, 11 novembre 1870. A.D. Ain 4R.

[5] Lettre de David au préfet de l’Ain Puthod, 11 novembre 1870. A.D. Ain 4R.

[6] Lettre de David au préfet de l’Ain Puthod, 11 novembre 1870. A.D. Ain 4R.

 

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