Le Second Empire naît d’un coup d’état qui s’appuie sur deux forces : l’armée et la police. Dans l’Ain ce coup d’état coûte 22 déportations, 8 expulsions, 14 mises sous surveillance, 4 jugements et 18 incarcérations. Le pouvoir bonapartiste trouve un écho favorable dans la bourgeoisie qui voit dans le gouvernement de Napoléon III, un protecteur contre l’anarchie. Pour cette partie des Français, le règne de Napoléon III, après l’exposition de 1867, est une période douce, où Paris, ville lumière, est la capitale du monde civilisé. Personne dans le département n’aurait alors pu prédire le désastre de 1870.
Le 15 juillet 1870, le commissaire de police de Bourg annonce la déclaration de guerre à la population. Cette dernière est accueillie par des chants patriotiques et des cris Vive l’empereur, vive l’armée, à Berlin, à Berlin. Dans le reste du département, des bruits courts, les 15 et 16, que la guerre va éclater mais au sujet de la succession d’Espagne. Lorsque l'annonce officielle de la déclaration de la guerre paraît, l'enthousiasme est à son comble. Un élan patriotique, préfigurant celui de 1914, a lieu dans l'Ain : les bourgeois, les ouvriers et les soldats, tous sont unis contre le Rhin allemand. La mobilisation est totale : "il est indispensable, dans les circonstances actuelles, que tous les fonctionnaires soient à leur poste"1 écrit le ministre de l'intérieur au préfet de l'Ain le 16 juillet. Du 19 juillet 1870 à début août, tout le monde est persuadé de l'invincibilité de l'armée. La confiance dans les généraux d'Afrique est à son maximum. Les traits de patriotismes se multiplient : le 9 août 1870, le directeur des transmissions de Bourg assure le préfet de l'Ain, de la discrétion de ses employés. Mais les troupes des prussiens du Kaiser ne sont pas les bandes d'Abdel Kader. L'opinion publique est la recherche d'informations et les débuts des combats passionnent2.
Cette guerre moderne, par l’utilisation du télégraphe3, du train et des mitrailleuses, se transforme est déroute : en août, ce sont les défaites de Wissembourg, Forbach et Froeschwiller. L'annonce de la mort du général Douai à Wissembourg, le 4 août, jette la stupeur dans le département.
A l'information officielle relativement surveillée, "faut-il faire afficher les dépêches officielles" demande le directeur des transmissions au préfet de l'Ain, se joignent des fausses nouvelles et de l'intox : " notre ville est en émoi par la suite de la nouvelle que le maréchal Mac Mahon aurait obtenu un grand succès à Wissembourg" écrit le maire de Pont de Vaux, le 7 août 1870. Le lendemain, ce bruit est renforcé, les employés du P.L.M. d'Ambérieu font courir le bruit que les troupes françaises ont remportées une grande victoire à Wissembourg. Toutefois, l'annonce des défaites dans l'arrondissement de Trévoux, si elles impressionnent les populations, et dans l'arrondissement de Belley, où elles causes une "très vive impression"4, ne pousse pas la population, qui garde de "bonnes dispositions"5, à la panique ni à l'affolement.
Ces défaites successives ont pour conséquence de faire perdre un grand nombre d’unités d’élite à l'armée française. “ Plus de 250 000 hommes sont capturés ou bloqués dans les places fortes comme Metz ou à degré moindre Bitche et Belfort. Les restes de l’armée Impériale se replient sur Châlon pour se réorganiser ”6. La presse toutefois galvanise le patriotisme en retournant ces cuisantes défaites et revers triomphants. Dès lors naissent de grands espoirs dans les manœuvres de Bazaine.
Mais dans l'Ain, certains sont lucides. Le 28 août, le maire de St Martin de Bavel fait part de ses craintes au préfet de l’Ain : “ les temps sont tristes, point de nouvelles du maréchal Bazaine…pauvre France, est-ce que l’énergie de tes enfants te sauveront pas de cette épreuve ”7. La fête du 15 août n'est plus fêtée à Trévoux comme la fête de l'Empereur mais redevient l'Assomption. Dès le 5 septembre, une rumeur circule à Trévoux : l'Empereur serait vaincu, fait prisonnier avec 40 000 hommes à Sedan. L'annonce officielle tombe 36 heures plus tard.
Malgré cela, l’esprit est bon et pugnace. Le 12 août, le gouvernement décide la formation des gardes nationaux mobiles et des gardes nationaux sédentaires. La levée des mobiles se fait presque sans moyen. C’est au camp de Sathonnay que les gardes mobiles du Rhône sont armés et instruits à partir du 15 août 1870, avant de partir le 1er septembre pour former trois bataillons du 16e régiment de mobile pour rejoindre Belfort et Neuf Brisach.
Le 2 septembre, Sedan capitule et le 4 Napoléon III est déchue. Lorsque l'Ain apprend le désastre de Sedan puis la chute de Napoléon III, un sentiment de trahison naît, mais la proclamation de la République réveille des énergies : “ le moment est venu selon l’expression du citoyen Gambetta, organisateur de la défense nationale, où m’initiative privée doit venir en aide aux courageux citoyens qui veulent défendre la Patrie, souillée et avilie par d’ignobles bandits qui sont plutôt des brigands que des soldats (je parle des prussiens ”8. Pour la bourgeoisie aisément campée dans l'Empire, l'annonce de la République soulève des craintes : "les hableurs prenaient possession des rues" écrit l'aumônier du 4e bataillon de mobiles de l'Ain. En effet, les brimés de 1848, sortent dans les rues de toutes les villes et villages de l'Ain. Cette reprise en main républicaine, à laquelle la population laborieuse est favorable, provoque une défiance du clergé et des fonctionnaires impériaux. Le 9 octobre 1870, alors que le préfet de l’Ain apprend l’évasion de Gambetta de Paris en ballon, mais aussi le blocus de Neufbrisach, Garibaldi arrive à Tours où il provoque une vague d’enthousiasme.
Jérôme Croyet, Docteur en Histoire,
Université Tous Ages, Lyon II. Année universitaire 2003 - 2004
1A.D. Ain 8R.
2"Le bruit court à Nantua qu'un engagement aurait eu lieu entre les troupes françaises et les troupes prussiennes. Avez vous des détails ?" écrit le sous préfet de Nantua, le 17 juillet 1870, au préfet de l'Ain. A.D. Ain 8R.
3Le préfet de l’Ain est informé plusieurs fois par jour, par télégraphe , de la progression des événements.
4Télégraphe du sous-préfet de Belley au préfet de l'Ain, 7 août 1870. A.D. Ain 8R.
5Télégraphe du sous-préfet de Belley au préfet de l'Ain, 7 août 1870. A.D. Ain 8R.
6MERY (Christian) : “ la bataille de Nuits St Georges. 18 décembre 1870 ” in Tradition Magazine n°189.
7Lettre du maire de St Martin de Bavel au préfet de l’Ain, A.D. Ain série R.
8Lettre de David au préfet de l’Ain Puthod, 11 novembre 1870. A.D. Ain 4R.
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