an V : la jacobinisation du département

2.80 La jacobinisation douce : les cercles constitutionnels

 

Dans l’Ain, la période du Directoire est aussi marquée par la crainte des administrateurs républicains, mis en place par Reverchon, de maintenir éloignés du système électif, et des postes administratifs, les royalistes mais aussi les terroristes, toute la réaction thermidorienne n'avait-elle pas été conçue pour désarmer ceux qui avaient soutenu le gouvernement révolutionnaire ?

 

Dans un premier temps, avec Carnot et Reubell, le Directoire se montre farouchement anti-jacobin : rappel de Fréron, fermeture du club du Panthéon et mise dans la ligne de mire des menées de Baboeuf et de ses amis. Avec le mouvement ministériel du 3 avril 1796, Carnot accentue la couleur anti-jacobine du pouvoir exécutif. "L'ancien membre du “ grand ” Comité de salut public commençait à jouer le jeu des royalistes… En frappant encore à gauche, les hommes au pouvoir se coupaient des forces qui pouvaient soutenir la République en cas de menace contre-révolutionnaire. Les sans-culottes désarmés, les jacobins brisés et humiliés ne viendraient jamais au secours de ce régime honni. De leur côté, les tenants de la contre-révolution se sentaient pousser des ailes et se préparaient à profiter de la lassitude des notables pour opérer leur grand retour… Les réseaux “ clichyens ” préparèrent minutieusement les échéances électorales. Grâce à des sociétés (ou “ instituts ”) philanthropiques créées dans tout le pays, ils s'organisèrent et firent campagne en vue des élections de 1797"1. Si les députés royalistes s'attaquent à la législation sur les biens nationaux, dans les départements, les militants royalistes s'attaquent aux hommes de la Révolution. Dans l'Ain, cela se traduit par le retour des prêtres réfractaires et le pullulement des bandes armées qui mènent à la vexation du "petit nombre de républicains de ce département"2.

 

A Paris, les conseils des Cinq Cents et des Anciens, soutenus par Barthélemy et Carnot réclament un changement de ministère. Le 16 juillet 1797, Barras, Reubell et La Revellière-Lépeaux le leur concèdent mais pas dans le sens souhaité : Merlin de Douai et Ramel, ennemis jurés des royalistes, sont maintenus à la Justice et aux Finances, tandis que François de Neufchâteau et Talleyrand sont des modérés et Hoche, nommé au portefeuille de la guerre est un franc républicain. Les affidés des royalistes furent éliminés du gouvernement. Dans les départements, le Directoire ne s'est pas montré inactif. Il a regroupé ses forces dans des clubs, les cercles constitutionnels, "voire réactivé des organisations jacobines"3.

Le 18 fructidor an V, l'armée pénètre dans Paris. Pichegru et Barthélemy sont arrêtés, Carnot prend la fuite. Les conseils, privés des députés royalistes les plus marquants, cassent les élections dans 49 départements, éliminant 177 représentants et renversant la majorité. Dans la foulée, François de Neufchâteau et Merlin de Douai sont portés au Directoire. La presse est réduite au silence, les lois contre les émigrés réactivées, les prêtres réfractaires invités à regagner leurs cachettes.

Dans l'Ain, cette réaction enchante les républicains, qui pouvait "à peine respirer"4, et qui marque un coup d’arrêt puissant des manœuvres anti-jacobines ourdies par Lalande, se manifeste par une reprise en main des choses publiques.

Politiquement, les républicains essayent de remettre la main sur le système électoral. Groscassand Dorimond, commissaire du pouvoir exécutif auprès l’administration du département et tête de file des républicains teintés de jacobinisme de l'Ain, n’hésite pas, en l’an VI, à demander aux commissaires qu’ils jugent fiables, comme Claret de Lagnieu, de préparer à l’avance le résultat des élections : “ le Gouvernement attend de vous...un redoublement de zèle et activité pour rallier les républicains et rallier le bon choix. La faction royale, anarchique et fanatique existe encore...il faut que tous les bons citoyens s’entendent...qu’ils soient d’accord à l’avance...il faut terminer la Révolution ”5. Pour lui, il est temps de finir la Révolution mais d’inscrire dans la durée le régime républicain, les acquis de la Révolution. Pour ce faire, l'administration s'appuie sur les cercles constitutionnels. Ceux-ci éclosent à Coligny, Bourg, Ferney, Seyssel, Pont-de-Vaux et Ambérieu en Bugey. Ils se manifestent par leur soutien inconditionnel à la constitution, à la haine de la royauté. Si leurs pétitions sont dans l'air du temps et magnifient le coup d'état du 18 fructidor, elles manifestent aussi des idées sorties de la politisation de l'an II : épurations des autorités constituées, chasse aux nobles, aux prêtres et réapparition du terme d'aristocrate. En tout cas, elles ne font jamais mention de haine des néo-jacobins, des babouvistes, tout juste de l'anarchie. Ce coup de barre à "gauche", tant espéré dans l'Ain, est accueilli et suivie avec un enthousiasme débordant dans une grande frange de la société politisé : "tout à coup l'air sain et salutaire s'est répandu dans nos âmes et y a glissé un baume qui nous a fait ressentir la plus vraie allégresse"6. Politiquement ce coup d’état ne laisse pas les opposants aux jacobins sans amertume : « les élections de Bourg sont peu jacobines. Les électeurs de cette année sont des jacobins. On a écarté les gens d’un autre parti »7 note Lalande.

Outre la réorientation et le recyclage politique de bon nombre d'anciens jacobins, sans-culottes et commissaires, une vague de journaux contre-révolutionnaires et antirépublicains sont interdits dans le département de l'Ain les 19 et 22 fructidor an V. Ce sont le Journal de Francfort (en français), la Gazette de Francfort (en allemand), le Mercure Universel, la Gazette de Leyde et le Spectateur du Nord. Malgré cette liste de proscription, le ministre de la police générale à Paris écrit au commissaire près le département de l'Ain le 24 nivôse an VII pour lui demander de resserrer la surveillance sur les journaux écrit par "les ennemis de la Révolution "8, c'est à dire stopper la diffusion des journaux venant de l'étranger (surtout d'Allemagne où se trouve le plus fort parti d'émigrés). Le 7 pluviôse an VII, Tardy, commissaire exécutif dans l'Ain, donne une nouvelle liste de journaux royalistes proscrits aux directeurs des postes de l'Ain. Les journaux concernés sont : le Journal de Francfort (en français), la Gazette de Francfort (en allemand), le journal de Hambourg (qui est un mensuel rédigé par Mr. Schivach), le Mercure Universel (ou le Journal de Ratisbourg), la Gazette de Leyde, le Spectateur du Nord, le Provinciale Seytung (ou Courrier du Bas-Rhin), la Gazette Prussienne (imprimée à Wesel) et le Courrier de Londres. Le citoyen Tardy demande qu'on lui fasse suivre les exemplaires de ces journaux qui pourraient parvenir dans les postes du département. Cette presse ne semble avoir aucun écho dans l'Ain. En effet, sur 14 bureaux de postes9 un seul dit avoir reçu un écrit contre-révolutionnaire, il s'agit de la poste d'Ambronay qui a reçu le 1er thermidor an VII un libellé intitulé Deux mots au Directoire Français par L.C.P Chevalier de l'Ordre Royal et Militaire de St Louis, capitaine d'artillerie à l'armée de Condé10. La presse contre-révolutionnaire n'a donc aucun lecteur potentiel contrairement à la presse générale et à la presse patriote en particulier11.

Politiquement, la traque des émigrés est réactivée par le commissaire du pouvoir exécutif du département de l’Ain le 2 nivôse an VII, en interdisant la délivrance de passeport pour Lyon « à tous ci-devant nobles ou parents d’émigrés qui ne justifient pas y être domiciliés depuis plus d’un an »12 et en demandant la liste des passeports délivrés aux nobles et parents d’émigrés, ce que font les municipalités de cantons dans les décades suivantes. A cette mesure se joint une chasse aux prêtres réfractaires et une surveillance accrue des prêtres déportés rentrés qui porte ses fruits.

 

Le coup d'état du 18 fructidor marque le recyclage politique d'une grosse partie de l'élite politique de l'Ain républicaine et jacobine, toutes tendances confondues, de 1793 et 1795, tenant toujours éloignés les vainqueurs de 1789 mais inspirant de nouveaux venus.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1 LENTZ (Thierry) : "La vie politique du Directoire pendant la campagne d'Italie" in Revue du Souvenir Napoléonien n° 412.

2 Pétition des républicains de Pont-de-Vaux au Directoire, 15 pluviôse an VI. A.N. FIII 211 d 964.

3 LENTZ (Thierry) : "La vie politique du Directoire pendant la campagne d'Italie" in Revue du Souvenir Napoléonien n° 412.

4 Pétition des répubicains d'Ambérieu en Bugey, n.d. A.N. A.FIII 211.

5 Lettre de Groscassand Dorimond à Claret, 23 ventôse an VI. A.D. Ain 18J 6.

6 Pétition des répubicains d'Ambérieu en Bugey, n.d. A.N. A.FIII 211.

7 Anecdotes de Bresse par Lalande, S.E.A. Ms35.

8lettre de commissaire près le département de l'Ain aux directeurs des postes, de pluviôse an VII. A.D.A. L387.

9Savoir, Châtillon-sur-Chalaronne, Montmerle, Trévoux, Ambronay, Nantua, Pont d'Ain, Cerdon, Seyssel, Châtillon-en-Michaille, St Rambert, Belley, Pont de Vaux et Ambérieu.

10Lettre du commissaire du pouvoir exécutif près le canton d'Ambronay à Tardy, du 1er Thermidor an VII. A.D.A.L387.

11En effet, plusieurs citoyens de l'Ain sont arrêtés après la conjuration des Egaux de Babeuf, il s'agit de Joseph Robin, instituteur à Arbigny, Aymé-Marie Alban (l'ancien maire de Bourg), les citoyens Gay et Bataillard de Bourg.

 

12 Lettre du commissaire du pouvoir exécutif de l’Ain au ministre de la police générale, 2 nivôse an VII. A.N. F7 3647.

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