2.77 Réaction sans-culottine : La mission de Reverchon dans l’Ain
Si les nécessités politiques de l’an III suggèrent de privilégier la thèse de la vengeance populaire, pour la population bressane les assassins des sans-culottes ne sont pas des compagnons de Jéhu même si le "Réveil du Peuple "est chanté par la foule. En effet, loin d'être royaliste, le peuple de Bourg marque, avec le "Réveil du Peuple ", son opposition à l'an II et aux hommes de la Terreur. Les assassins sont des gens connus par leurs victimes : il y a d'anciens détenus, comme Montbarbon et Joly, des fils de détenus comme Dubost et des fils de suppliciés comme Vuy et Perret. Avec la nomination du représentant du peuple Chaillot, une enquête sur l’assassinat du 30 germinal et sur les actions contre-révolutionnaires est mise en place. Au total vingt et un citoyens de Bourg sont impliqués dans l'assassinat des six sans-culottes1. Seuls Joly2, l'époux d'une femme à qui Alban montrait des estampes obscènes afin d'obtenir ses faveurs, et Dubost sont poursuivis en l'an IV comme compagnon de Jéhu. Joly et Debost échappent à la prison et à la guillotine3.
Avec la nomination de Reverchon, l’enquête contre les « égorgeurs » est ouverte. Reverchon prend à cœur « d’extirper le mal dans sa racine »4. Le représentant constate que les « égorgeurs…se livraient encore à des excès qui ont pour but d’empêcher les commissaires que vous avez nommés de remplir leurs fonctions »5. Le 25 frimaire an IV, l’administration municipale nouvellement installée fait une proclamation “contre les horribles agents de Robespierre”6, prenant à parti Paté et Morand qui se montrent parmi les plus ardents néo-jacobins de l’Ain. Cette manœuvre est vaine, voir accusatrice. Le jour même Reverchon, en vertu de la loi du 29 vendémiaire, met en état d’arrestation neuf personnes, dont Duhamel, Debost et Joly, « réputés membres de la compagnie de Jéhu, prévenus d’assassinats »7. Reprochant à l’administration municipale de Bourg « la résistance apportée…dans l’exécution des mandats d’arrêt…et l’évasion du nommé Dubreuil, annonçant une coalition qui tend à soustraire à la justice les prévenus d’assassinat »8, Reverchon le 11 nivôse oblige l’administration municipale à faire présenter Dubreuil sous deux décades ou ses membres seront suspendus de leur fonction. Alors que la légitimité de Reverchon est remise en cause9, ce dernier, s'appuyant sur la loi du 29 vendémiaire10, entre le 9 et le 19 nivôse, réorganisent les postes clefs de l’administration en promouvant certains amis des sans-culottes qui retrouvent un poste administratif et dénoncent les thermidoriens ; Paté, Lecoeur et Morand en tête de file. L'administration centrale du département, dans un élan fédéraliste de contestation des choix du représentant du pouvoir central, tente d'en imposer à Paris et Reverchon en nommant Jordan au département alors que Reverchon y place Lecoeur, ancien sans-culotte. Le département prend même la liberté, le 4 pluviôse, d'écrire à Reverchon pour l'informer de la nomination de Jordan et « l'invite à regarder comme non avenue celle qu'il a faite de Lecoeur »11. L'affaire monte jusqu'au Directoire qui tranche logiquement, le 22 pluviôse, en faveur de son représentant.
Ces mesures jacobines ne sont pas du goût d’une partie de la représentation de l’Ain à Paris, fortement monarchienne, menées par Valentin-Duplantier et Girod-de-l’Ain qui vont jusqu’à accuser Reverchon « de commettre des actes arbitraires contre des citoyens et contraire à la constitution »12. Ils tentent alors par le truchement d’un mémoire de présenter l’action de Reverchon comme funeste à l’ordre public, en présentant sa mission de la même manière que fut présentée en thermidor celle d’Albitte. De fait, « les mesures de Sureté Générale »13, comme les appelle le ministère, prises par Reverchon ne sont pas contraire ni à ses fonctions ni à la Constitution, ils ne sont tout bonnement pas du goût des députés monarchiens de l’Ain qui voit là leur base politique mise à mal. Ce manque d’objectivité de Girod et Valentin est confirmé par le représentant Vitet, à qui le ministre de l’Intérieur demande un rapport. Vitet est clair : « il paraît que la passion plus que la vérité à dicté ce mémoire »14, sentence Vitet.
En germinal, alors que Reverchon accuse Valentin Duplantier « d’avoir excité les sicaires contre les républicains de Bourg »15, l’administration du département charge l’administration municipale de Bourg dont « la conduite…est une vraie résistance à l’exécution des lois »16. A Belley, les anciens sans-culottes font circuler à profusion dans le canton des feuilles dénonçant les “amis de l’ordre ”17 comme des compagnons de Jéhu.
Sous la pression morale du représentant du peuple Reverchon, qui réorganise une partie de l’administration judiciaire le 11 nivôse an IV, dès le 29 suivant, l’accusateur public du tribunal criminel de l’Ain informe officiellement le président du jury de police correctionnel de l’arrondissement de Bourg « des manœuvres que pratiquent dans les cantons les prêtres rentrés sur le territoire de la République »18. Dès le 4 pluviôse, les juges de paix sont engagés à faire « les recherches et les poursuites qu’exige l’intérêt publique »19. En effet, avec le relâchement sécuritaire due à la chute politique des sans-culottes, les prêtres et les émigrés rentrent dans le département, avec parfois la complaisance des administrations, notamment à Versoix où les employés des douanes sont dénoncés au ministère de la Police le 17 fructidor an IV. Pour contrer ces retours, la poursuite des prêtres réfractaires et des émigrés est relancée le 4 fructidor an IV par l’administration centrale du département de l’Ain, par la création de colonne mobile de gendarmerie.
Dans le département, cette agitation permet le renforcement moral des anciens sans-culottes et la mise en place d’actions, notamment à l’encontre des paroissiens allant à la messe des prêtres non-constitutionnels et des réfractaires, en les traitant de « fanatiques, contre-révolutionnaires, d’embêtés ceux qui cherchaient ou désiraient une messe même constitutionnelle…et aujourd’hui ceux qui refusent d’assister à la messe de leur prêtre [Maître], sont des chouans, des fanatiques qu’il faut exterminer »20. Ce retour en force n’est pas du goût de l’administration départementale et des « honnêtes hommes »21 bien que le 30 floréal an IV, l’administration municipale de Bourg interdise de chanter ou siffler le réveil du peuple et de siffler l’hymne.
d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury
mis en ligne par l’association SEHRI
1 Beffroy, Dubreuil, les frères Bonnardel, Montbarbon, Rux ainé, Vuy, Duhamel, Perrin, Joly, Debost huissier, Masson, Chambre père, Gromier, Mottin, Chesne fils, Boizet, Grand, Geoffroy fils, Humbert notaire, Debost père. A.D.A. 2J 23.
2 Le 6 messidor an IV, le directeur du jury d'accusation de l'arrondissement de Bourg lance un mandat d'arrêt contre Joly.
3 Mais sur jugement rendu par le tribunal de cassation, le 4e jour complémentaire de l'an V, le directeur du jury d'accusation d'Yssenjeaux, en Haute-Loire, lance un nouveau mandat d'arrêt contre Joly qui l'accuse d'avoir appartenu à la Compagnie de Jéhu qui a perpétré les massacres de Lyon et de Bourg.
4 Lettre de Reverchon, Mâcon, A.N. AF III-93.
5 Lettre de Reverchon, Mâcon, A.N. AF III-93.
6 A.D. Ain série L.
7 Arrêté de Reverchon, 25 frimaire an IV. A.N. AF III-93.
8 Arrêté de Reverchon, Bourg, 11 nivôse an IV. A.N. AFIII-98.
9 Lalande accuse alors Gauthier des Orcières d’avoir fait nommer Reverchon dans l’Ain sous le mauvais prétexte de se venger des bressans de ne l’avoir pas élu.
10 Loi “relative aux fonctionnaires publics qui ne se sont pas opposés aux assassinats par les associations royalistes”. A.N. FIII 346.
11Arrêté du Directoire Exécutif, Paris, 22 pluviôse an IV. A.N. FIII 346.
12 Compte rendu du ministère de la Police, n.d. A.N. AF III-98.
13 Lettre du ministre de l’Intérieur au ministre de la Police, Paris, 27 nivôse an IV. A.N. AF III-98.
14 Lettre de Vitet au ministre de l’Intérieur, Paris, 24 nivôse an IV. A.N. AF III-98.
15 Anecdotes de Bresse par Lalande, S.E.A. Ms35.
16 Arrêté de l’administration du département de l’Ain, Bourg, 4 germinal an IV. A.N. AF III-98.
17 A.D. Ain série L.
18 Registre de correspondance du président de police correctionnelle de l’arrondissement de Bourg. A.D. Ain 17L 8.
19 Registre de correspondance du président de police correctionnelle de l’arrondissement de Bourg. A.D. Ain 17L 8.
20 Mémoire sur Coligny, n.d. A.D. Ain 12L 111.
21 Mémoire sur Coligny, n.d. A.D. Ain 12L 111.
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