1795 : des espions en Bresse

2.75 Bourg, carrefour de la Contre-révolution

 

Avec le meurtre des sans-culottes, l’opposition républicaine et jacobine bressane est décapitée. En l’absence de ses chefs, le peuple se range de lui-même sous la houlette d’une bourgeoisie victorieuse, contente de retrouver ses prérogatives. Par contre, pour Boisset et ses amis du cercle d’Imbert-Colomès, la suppression des ténors de la société des sans-culottes de Bourg, laisse le champ libre pour noyauter l’administration avec d’anciens fédéralistes et des monarchistes modérés. Avec ce soutien indirect et l’action des compagnons de Jéhu dans le département, le réseau contre-révolutionnaire d’Imbert-Colomès, sans doute soutenu par des nobles monarchistes de l’Ain, tels les Varicourt de Gex et d'anciens détenus victimes de l'an II comme François Debost de Bourg, peut utiliser le département de l’Ain comme une plaque tournante de la contre-révolution dans le midi de la France[1]. En effet, les origines anglaises de la famille Rouph de Varicourt, facilitent l’engagement contre-révolutionnaire de Lambert Rouph de Varicourt, un des frères de Pierre-Marie Rouph de Varicourt, curé de Gex et futur évêque d’Orléans en 1817. Varicourt est si actif, que le 24 frimaire an VII, le ministre de la Police Générale informe le commissaire du pouvoir exécutif de l’administration centrale du département de l’Ain que le comité anglais de Constance, avec l’aide d’un dénommé Valdené, cherche à établir un foyer contre-révolutionnaire dans les montagnes suisses. Le 15 nivôse, le ministre de la Police Générale avertit le commissaire du pouvoir exécutif près de l’administration centrale du département de l’Ain qu’à Mayence, un dénommé Varicourt, ingénieur émigré, a donné au comité anglais un mémoire sur les positions avantageuses dans les montagnes suisses. Le ministre prévient le département que les correspondances des espions passe par le Jura[2] pour gagner Lyon et Paris, par le département de l’Ain. Lambert, lieutenant-colonel dans le régiment suisse de Roll, “became Wickham’s liason with suiss regiments under the alias of Langenberg ”[3].

Bourg, libéré de la tutelle policière des sans-culottes, devient, en 1795 sous la houlette de l’agence suisse de Wickham[4], de l’agence de Paris et peut être du réseau d’Imbert-Colomès [5], un carrefour[6] pour les espions à la solde de l’Angleterre et les royalistes. La ville de Bourg est un lieu où il est facile de se donner rendez-vous afin d’échanger du courrier, d’en faire partir ou d’en recevoir, ainsi que de se rencontrer pour discuter. Voltaire n’avait-il pas choisi Ferney, dans le futur département de l’Ain, pour sa proximité avec la Suisse ? Avec l’arrestation et l’exécution de Lemaitre en 1795, la Manufacture recentre son activité dans la communication, en essayant de gagner l’opinion publique à la cause royaliste pour préparer les élections de l’an V “avec l’argent anglais distribué par Wickham qui soutien l’idée d’une monarchie modérée. . .en se méfiant des émigrés trop contre-révolutionnaires[7]. Ces mouvements ne sont pas illusoires et les actions de l’administration départementale assez faibles : le 21 vendémiaire an IV, le ministre de la Police demande des renseignements sur les mesures prises par le commissaire du pouvoir exécutif du département, Morand, à l’encontre d’un suspect, Marignac, négociant de Genève. Morand répond que bien qu’il pense, comme le Gouvernement, qu’il s’agisse d « un agent des émigrés, et leur espion en France »[8], il ne s’est limité qu’a saisir ses lettres et ses passeports et prendre des mesures « propres à s’assurer de lui s’il reparaissait »[9], le laissant continuer sa route à Lyon, Marseille et Paris. Morand justifie son immobilisme par l’inexécution des lois, qu’il est toutefois censé faire appliquer. Pour Paté, ancien sans-culotte et commissaire du pouvoir exécutif près de l’administration municipale de Bourg, la cause vient du cœur même de l’administration et “la mauvaise composition de la municipalité depuis et avant les massacres commis dans cette commune, c’est à dire depuis le 30 ventôse an III, a opéré une corruption presque totale. . .c’est depuis cette époque que les républicains ont été vexés, poursuivis et incarcérés comme terroristes. . .le représentant Reverchon s’occupe-t-il des changement indispensables à faire ”[10]. A Paris, le ministre de la Police ne semble pas dupe des faibles mesures prises par Morand « et les représentants Girod de l'Ain et Valentin Du Plantier, soutenus par l'astronome Lalande qui a des relais politiques auprès de Carnot, parviennent à obtenir la destitution de Morand, le 12 frimaire an V. Celui-ci est remplacé par Thomas Riboud, personnage plus modéré, homme de 1789, et ancien législateur »[11].

Cette année là, la menace de complot contre-révolutionnaire est si réelle, que les mesures de surveillances des flux matériels avec la Suisse sont renforcées, surtout en matière d’armement. Le 19 brumaire an V, le ministre de la police invite l’administration du département à surveiller les importations et la vente de poudre à fusil fabriquée en grande quantité en Suisse. Suite aux rassemblements contre-révolutionnaires en Lozère et en Vivarais, les Gardes Nationales sont reformées dans l’ensemble du département mais surtout dans le Bugey où sont mises en place des patrouilles de gendarmes. A ces surveillances, s’ajoute la présence en grand nombre de déserteurs et de réfractaires au recrutement qui, avec le nombre grandissant des prisonniers de guerre évadés, entre l’Ain, le Rhône et la Saône-et-Loire pousse le Gouvernement, le 3 prairial an V à soupçonner la formation d’un congrès contre-révolutionnaire entre ces départements, ce que dément comme une fausseté Thomas Riboud dès le 28 messidor suivant. Plus que l’alarme et les rumeurs, c’est la crainte d’un coup de main armé royaliste qui est réelle et pousse une partie des administrateurs vers un retour à la sûreté jacobine. Toutefois les mesures de surveillance ne s’estompent pas et sont mêmes renforcées en l’an VII, avec des contrôles des correspondances qui amènent le ministre de la Police à désigner au commissaire du pouvoir exécutif, le 2 vendémiaire an VII, 10 personnes de l’Ain, dont l’agent de la commune de Versoix, qui reçoivent des « correspondances illicites » [12].

            A ces menées s’ajoute les agissements et l’activisme de prêtres réfractaires qui parcourent le département, et notamment la Bresse[13] et le Revermont, réussissant à récupérer une foule paysanne. L’arrestation du prêtre réfractaire Decoeur à Coligny, en frimaire an IV, est le symbole de cette reconquête des âmes et des cœurs par le clergé réfractaire et la perte de vitesse de la main mise jacobine dans les campagnes. Cette dernière ne se maintient qu’avec difficulté dans le Revermont, à Coligny, sur la route de Bourg à Lons, que par la présence de « treize dragons…jugés nécessaires par l’administration municipale, pour les garantir des nouveaux attroupements » [14] consécutifs à la tentative de libération du prêtre Decoeur par des habitants de Villemotier en frimaire an IV.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 



[1] "En 1794, 95, 96 François Debost…voyageait souvent dans les départements du Rhône et du Jura, m'a dit souvent à diverses reprises à Lyon et à Lons le saunier, j'ai eu des entretiens avec les affidés, espions, des émigrés, des anglais et des puissances coalisées…si comme cela est sur, les émigrés rentrent tôt ou tard, les patriotes seront pendus". Mémoire politique de Louis Marie Debost sur Louis XVIII, 1822. A.D. Ain 18J 7.

[2] Le 27 fructidor an V, le général La Barolière, commandant à Besançon, annonce au ministre de la Guerre le déplacement du prince de Condé vers le Jura.

[3] Public Record Office, Foreign Office, 95/8/13/766, 700, cité par SPARROW Elisabeth in Secret Service british agent in France, 1792-1815, Boydell Press, 1999.

[4] Un des agents les plus actif de ce réseau est Joseph Guillard, né à Montmerle sur Saône le 30 mai 1775. Se disant joueur professionnel, il est arrêté le 13 brumaire an 12 au camp de Boulogne, alors qu’il discute avec Bonaparte. Bénéficiant de puissants appuis, il est néanmoins relaché. A.N. F7/6375.

[5] Ne se réfugie-t-il pas à Bourg le 7 février 1790, peut être auprès de personnes confiance, plus à même d’assurer sa sécurité qu’elle ne le serait à Lyon ou dans ses environs ?

[6] “ Bourg-en-Bresse was important to the contre-revolution. . .is based on. . .Joseph Vincent, Guillard and Vincent’s connection with Claude Antoine Rey, ex lieutenant général de Police Lyon,. . .Condé’s army ”. Lettre d’Elisabeth Sparrow, 22 Octobre 2001.

[7] MARTIN (Jean Clément) : Contre-révolution, Révolution et Nation en France, 1789-1799. Editions du Seuil, collection Hstoire, Paris, 1998, page 271.

[8] Lettre du commissaire du pouvoir exécutif de l’Ain Morand au ministre de la Police, Bourg, 2 brumaire an V. A.N. F7 6607.

[9] Lettre du commissaire du pouvoir exécutif de l’Ain Morand au ministre de la Police, Bourg, 2 brumaire an V. A.N. F7 6607.

[10] Rapport de Paté, rapport cantonaux au commissaire du pouvoir exécutif, n.d., A.D. Ain 2L non classé.

[11] MICHON (Clément) : Les commissaires du pouvoir exécutif près les administrations de l’Ain (an VI – an VII). Mémoire de Master I, université de Paris I sous la direction de Pierre Serna, 2010.

[12] Lettre du ministre de la Police au commissaire du pouvoir exécutif de l’Ain, paris, 2 vendémiaire an VII. A.N. F7 6607.

[13] Le 21 pluviôse an IV, le président du jury de police correctionnel de l’arrondissement de Bourg demande au juge de paix du canton de Montrevel des renseignements sur la conduite de deux prêtres réfractaires se trouvant dans son canton. Registre de correspondance du président de police correctionnelle de l’arrondissement de Bourg. A.D. Ain 17L 8.

[14] Mémoire sur les néo-jacobins de Coligny et l’affaire du prêtre Decoeur, n.d. A.D. Ain 12L 111.

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