an IV - an VII : les difficultés du Directoire dans l'Ain

 2.73 Les difficultés du Directoire : L'exemple du canton de Trévoux

 

A l'avènement du Directoire, le prestige des postes administratifs est tombé en désuétude et beaucoup de municipalité de canton, telle celle de Trévoux, sont très désorganisées et laissées à l'abandon : "si le département continue à garder le silence à cet égard, l'administration municipale de Trévoux se verra contrainte de cesser toutes sortes de travail puisqu'elle n'a plus ni papier, ni registres, plumes etc"[1].

Dans ce canton en l'an IV, comme dans celui de Pont d'Ain en l'an VII, les commissaires du pouvoir exécutif, avec Jean Baptiste Pété, ancien fédéraliste dans le premier, ou Gallien, ancien terroriste dans le second, s’occupent principalement de poursuivre les déserteurs et les réfractaires. En effet, cette année là, le nombre de réquisitionnaires réfractaires tend à augmenter, ce qui pousse, de nouveau les autorités et notamment les commissaires du pouvoir exécutif à utiliser les garnisaires pour faire obtempérer les réfractaires. Ainsi, dans le canton de Pont d'Ain, Gallien fait loger des garnisaires chez les personnes qui hébergent des conscrits réfractaires jusqu'à ce que le réfractaire ait été présenté. Cette mesure est doublée d'une seconde plus dure encore, puisque "passé la première décade, elle aura deux garnisaires. Cette seconde décade écoulée, elle en aura quatre et passé ce temps, il sera procédé à la saisi et à la vente de ses biens. Le garnisaire recevra…les vivres, le logement et un franc par jour (de la personne chez qui il est). A chaque décade le franc doublera"[2].

A Trévoux, en l'an IV, Pété déplore le manque de correspondance avec le département et dénonce l’exubérance des impositions alors que les finances manquent et paralyse leur action. D'une manière générale, l'investissement de l'administration départementale recule, des commissaires du directoire se plaignent du manque de soutien de l'administration départementale : "j'ai demandé inutilement, soit à l'administration, soit à votre devancier, les moyens nécessaires pour engager les communes dans lesquelles il n'y a ni agent, ni adjoint, de s'assembler pour faire ces élections…j'ai de même demandé mais inutilement quels moyens à employer pour parvenir à la confection de la réorganisation de la Garde Nationale…dans plusieurs lettres je m'étais plaint que cette administration ne recevait point exactement les lois"[3].

Au cours du printemps de l'an IV, la situation administrative du canton de Trévoux semble s'améliorer grâce au labeur et à la fermeté de Pété : les lois s'exécutent, l'emprunt forcé se paye, les réquisitions se font, les militaires rejoignent leurs régiments. Mais Pété n'est pas pleinement satisfait de la situation cantonale et le fait sa voir au commissaire du pouvoir exécutif auprès de l'administration du département le 1er germinal : "si l'on pouvait réduire l'égoïsme des campagnes et la cupidité des marchands…si les bois, arbres et clôtures étaient respectées…et enfin, si, forçant la Gendarmerie à reprendre son ancienne activité…l'administration…irai encore mieux" [4]. En effet, un des problèmes majeurs auquel s'attaque Jean-Baptiste au cours de ce printemps, outre la confection des matrices d'impositions foncières, c'est le renouvellement et la réorganisation de la Garde Nationale, afin d'en exclure les modérés et les royalistes pour la composer de républicains, suivant les vœux du représentant Reverchon. Dès le 7 germinal, cette réorganisation porte ses fruits : les brigands, les étrangers et particulièrement les colporteurs suisses[5] sont surveillés, le canton est sécurisé des incursions de bandits lyonnais.

Malgré les premiers mois assez concluant de l'an IV et l'application au travail de Pété, ce dernier regrette la lenteur avec laquelle l'administration départementale semble traiter les affaires et s'en plaint ouvertement le 9 brumaire an V : "notre correspondance, citoyens administrateurs, est si lente et si préjudiciable aux intérêts de la République et de notre canton que je croirais manquer à l'intérêt qui vous anime si je n'appelais pas votre sollicitude aux égards pou forcer les postes à s'expliquer sur son retard"[6]. De plus, si l'an IV s'était terminé sur une note positive, l'an V est marqué par une recrudescence de l'insécurité : le 11 brumaire, il déplore que, malgré l'arrêté du département du 12 thermidor an IV, les agents des communes rechignent à dénoncer les déserteurs et les réfractaires par peur de représailles. Il dénonce aussi la mollesse de la Gendarmerie qui ne seconde et ne protège pas les agents des communes : "cette force jadis si salutaire est exactement nulle aujourd'hui"[7]. Mais pour lui les causes sont plus profondes ; les gendarmes ne sont pas payés, en conséquence, ils ne font rien pour freiner les vols et les dégâts, la force de sécurité publique est à ce point démotivée que c'est à lui d'appréhender les suspects : "il ne subsiste dans la Gendarmerie ni zèle, ni activité, ni amour de leur devoir"[8]. Pété prend le problème des déserteurs à bras le corps et demande l'organisation de colonnes mobiles ainsi que les moyens pour assurer la sécurisation des biens et des personnes.

Le froid de cet hiver-là et la déconsidération des affaires publiques par l'administration du département [9], qu'il prend rapidement comme un reproche personnel, le font tomber dans la maladie. Après un alitement de onze jours, il déplore, cette fois, le dénuement en personnel de son administration. Il prévient le département que "malgré la plus grande envie, il est impossible que cette administration, qui n'a que deux commis, s'occupe …des affaires journalières sans laisser quelques choses en retard"[10]. De plus, cette année-là, les difficultés financières sont si graves qu'il ne peut pas établir de contraventions à l'égard des marchandises anglaises circulant à Trévoux à cause du manque de commerce dans la cîté. Pété, homme droit et procédurier, se révèle alors un homme proche de ses administrés et sensible à leur bonheur, ainsi, il s'occupe du choix des cinq administrateurs de l'hospice civil, le 13 frimaire, et, le 15 nivôse, lorsque l'administration du département lui demande la liste des fonctionnaires ayant pris part à la Terreur en l'an II, c'est avec aplomb qu'il couvre certains de ses anciens adversaires en n'en déclare aucun. Pété, bénéficiant de la confiance du Gouvernement, se rapproche sensiblement des néo-jacobins : "défendez leur de prêter l'oreille aux discours dangereux et perfides de ces caméléons qui paraissent s'apitoyer sur leur sort…la stabilité du Gouvernement actuel marche à grand pas vers la paix et l'abondance et que pour y arriver plutôt il ne faut que de la constance, de la fermeté, de l'union et l'exécution stricte des lois…si pour parvenir à la liberté il a fallu répandre du sang pour en fournir des ruisseaux, il en faudrait aujourd'hui répandre pour en former des rivières avant que d'arriver à l'esclavage"[11].

            Dans certains autres cantons, dont celui d'Aranc, les difficultés sont d'ordres plus administratifs : les élections sont désertées et le peu d'élus, qui acceptent leur fonction, le sont à une majorité des votes exprimés qui ne représentent pas la moitié des votants inscrits.

La réponse administrative et politique du Directoire à ces désordres sont des réorganisations des municipalités de cantons. Ainsi, dans le canton  de Thoissey, l’administration municipale est réorganisée le 13 ventôse an VI à cause de « la négligence de ces administrateurs à faire exécuter les lois notamment celles relatives aux émigrés, aux passeports, à la sureté publique, à la police des cultes, à la garde nationale, aux déserteurs, aux contributions et aux fêtes républicaines »[12].

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

 



[1] Lettre de Pété au département, 5 pluviôse an IV. A.D. Ain 12L.

[2] Arrêté du commissaire du pouvoir exécutif du canton de Pont d'Ain pour le logement d'un garnisaire chez la veuve Cruiziat, 29 fructidor an VII.

[3] Lettre de Pété au commissaire du pouvoir exécutif auprès de l'administration du département, 19 nivôse an IV. A.D. Ain 12L.

[4] Lettre de Pété, 1er germinal an IV. A.D. Ain 12L.

[5] Ces derniers sont suspectés de travailler pour les prêtres émigrés.

[6] Lettre de Pété,  9 brumaire an V. A.D. Ain 12L.

[7] Lettre de Pété, 11 brumaire an V. A.D. Ain 12L.

[8] Lettre de Pété, 11 brumaire an V. A.D. Ain 12L.

[9] "très souvent encore les arrêtés du département ne parvienne à cette administration qu'à expiration du délai fatal qui est fixé". Lettre de Pété, 11 brumaire an V. A.D. Ain 12L.

[10] Lettre de Pété, 4 frimaire an V. A.D. Ain 12L.

[11] Discours de Pété, n.d. Collection particulière.

[12] Minute d’arrêté, Paris, 13 ventôse an VI. A.N. AFIII/506.

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