prairial an III : l'accélération anti-jacobine

2.71 La menace fantôme

 

Suite aux journées de prairial an III à Paris, une nouvelle vague d’arrestation de sans-culottes dans l'Ain a lieu sous les auspices de Boisset, qui dès le 8, écrit à l’agent national du district de Trévoux : “les terroristes osent lever la tête dans le district de Trévoux, annonce leur que s’ils bougent, je pars à l’instant à la tête des amis de l’humanité réunis ici sous une même bannière pour les mettre dans l’impuissance de nuire [1]. Le 16 prairial, suivant les ordres de Boisset, Millet, procureur-syndic du district de Gex, fait arrêter provisoirement trois citoyens de Ferney. Mais au moment de les enfermer, il demande que des réparations urgentes soient faites à la maison de détention qui “est si petite[2]. Le lendemain, Millet annonce au procureur-général-syndic de l’Ain qu’il va faire incarcérer provisoirement onze citoyens de Gex et de Ferney. Le 17, à Belley, les administrateurs du directoire du district et l'agent national du district publient une proclamation contre les terroristes afin de les blâmer. Alors que Boisset fait enfermer des sans-culottes de second plan dans l’Ain, l'accusateur public du tribunal criminel du Jura exécute, le 18 prairial, l'arrêté du tribunal du 7 qui renvoie dans leurs districts respectifs les sans-culottes de l'Ain. De son côté, l'accusateur public du tribunal criminel de l'Ain, Revel, part en croisade contre les terroristes. Il fait parvenir une lettre circulaire aux commissaires nationaux, aux directeurs de jurés d'accusations, aux juges de paix et aux officiers municipaux du département, le 30 prairial, pour les inviter à "comprimer ce nouveau genre de crime qui doit glacer d'effroi tous les véritables amis de la justice et de l'ordre social, qui bientôt ferait fermenter dans chaque commune des projets de vengeances. . .pour tous les agents du système oppressif " [3]. Alarmiste à souhait, Revel en profite pour demander aux juges d'accélérer les procédures contre les terroristes ; dès le 8 messidor, le directeur du juré d’accusation du tribunal du district de Belley demande aux jurés de se prononcer sur la mise en accusation de Carrier, Charcot et Masse. Bien que la réponse soit positive, l’affaire reste sans suite jusqu’en l’an IV. Malgré le décès des principaux orateurs sans-culottes de l’Ain, la réaction thermidorienne prend la tournure d'une chasse aux sorcières et d'une véritable inquisition où la moindre suspicion fait acte de preuve. Le 16 messidor an III, le département de l'Ain prend un arrêté de désarmement des suspects et le 19 messidor, le district de Montluel demande à celui de Bourg des renseignements sur la conduite du secrétaire du représentant Méaulle, retiré à la campagne. Ces mesures sont très mal ressenties  par les personnes extérieures aux affaires politiques et notamment aux militaires qui sont assimilés à des terroristes : « défenseurs de la Patrie, nous fûmes traités de terroristes et de brigands par la haute et vile canaille française qui osa, à Bourg en Bresse…nous refuser l’entrée »[4].

Malgré le départ de Boisset, l’orientation politique régionale ne change pas. Le 4 fructidor, de Lyon, les représentants Poullain Grandprey, Ferroux et Despinassy prennent un arrêté pour la recherche des "terroristes, anarchistes et royalistes qui désolent notre département et principalement cette commune"[5]. Il est enregistré le 8 à Trévoux alors que sept sans-culottes sont réintégrés en prison par ordre du directoire du district de Bourg. Ce n'est que le lendemain, que le procureur syndic du district fait parvenir au procureur général syndic du département l’arrêté des représentants du peuple en date du 8. Malgré ce regain de tension contre les sans-culottes, l’assassinat du 30 germinal marque la conscience des députés de l’Ain. Le 11 fructidor, Deydier, Gauthier des Orcières, Rouyer, Ferrant et Merlino félicitent les citoyens de la commune de Belley “que les menaces colorées sous le nom de vengeance n’ont point déshonorées votre commune[6], comme ce fut le cas à Bourg. Le lendemain la Convention prend un nouveau décret pour renvoyer les terroristes détenus devant leur tribunal de police respectif et le 14 fructidor, le président du tribunal criminel du Jura réfute l'arrêté de Boisset, ordonnant le jugement des terroristes à Lons, se justifiant par l'absence de pouvoirs de ce représentant sur le Jura.

Cette clémence, dans l’Ain, fait miroir à des mouvements militaires d’ampleurs qui ont pour but la ville de Bourg. En effet, afin de renforcer l’armée d’Italie, le 1er fructidor an III, « les 152e et 170e demi-brigades, formant la première colonne des troupes envoyées de l’armée du Rhin à celles des Alpes et d’Italie, sous les ordres du général de brigade Jaucouet, arrivèrent à Bourg, département de l’Ain, et reçurent de l’Etat-major de l’armée, des ordres pour continuer leur route vers Chambéry où elles arrivèrent le 7 »[7].

Cependant, localement, les thermidoriens continuent de s’acharner sur leurs ennemis politiques, le 14 fructidor, Ségaud dénonce Alban à l'accusateur public du tribunal criminel de l'Ain pour lui avoir volé une paire de pistolets anglais, une carte d'atlas national mais surtout pour avoir "établi en permanence nocturne le comité de surveillance où il a prêché ses principes avec beaucoup trop de succès"[8] et le 24 fructidor, une nouvelle vague réactionnaire thermidorienne est lancée au moment où certains partisans des sans-culottes déclarent ouvertement leur amitié.

 

Ce regain d’activité est caractérisé par la mise en place de nouvelles dénonciations et d’arrestations. Confiants dans les décrets de la Convention, six terroristes de Bourg demandent à l'accusateur du tribunal criminel de l'Ain, le 30 fructidor, que l'instruction de leur affaire soit recommencée, considérant que tout ce qui a été fait jusque là est nul et non avenue. Le jour même l'accusateur public du tribunal criminel autorise les terroristes détenus de Belley à se rendre individuellement à Belley. Joseph Roux, Joseph Anthelme Garnier et André Gravin demandent néanmoins à être transférés ensembles. Cependant, les 11 terroristes belleysans sollicitent l'accusateur public du tribunal criminel de l'Ain "de vouloir bien recommander aux gendarmes, chargé de notre translation, de nous traiter avec humanité et de tenir secrète l'heure de notre départ"[9]. De leurs côtés, les terroristes Délilia, Trépoz et Lepély sont transférés à Nantua. Après interrogatoire, Délilia est libéré par le juge de paix de Nantua le 5e complémentaire de l'an III. Cette libération déplait au directeur du jury d'accusation du tribunal du district de Nantua qui s'en plaint à l'accusateur du tribunal criminel de l'Ain le 2 vendémiaire an IV. Le 4, c'est au tour du procureur de la commune de Nantua de se plaindre de cette libération, en dénonçant des vices de procédure. Malgré un calme apparent et leur retour dans leurs districts, les terroristes craignent un nouveau coup du sort, le 9 vendémiaire an IV au matin, six terroristes de Belley s'évadent de leur prison.

 



[1] Lettre de Biosset, 8 prairial an III. A.C. Trévoux, liasse 20.

[2] Lettre du procureur-syndic du district de Gex au procureur-général-syndic du département, 16 prairial an III. A.D. Ain série 2L non classé.

[3] Lettre circulaire de l'acusateur public du tribunal criminel de l'AIn, 30 prairial an III. A.D. Ain 3L.

[4] DUVERNOIS (général baron) : Mémoires. Libraire Plon, Paris, 1898.

[5] A.D. Ain série L.

[6] A.D. Ain série L.

[7] Renseignements particuliers donnés au Directoire Exécutif par le chef de bataillon du 3e bataillon de la 60e demi-brigade d’infatnerie, an III. Documentation Capi-chef.

[8] A.D. Ain série L.

[9] A.D. Ain série L.

 

 

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

 

 

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