prairial an III : la complicité de Boisset

La feinte horreur de Boisset

 

L'annonce du massacre des sans-culottes semble scandaliser Boisset qui en fait part à ses collègues du Comité de Sûreté Générale comme d'un "événement affreux"1. Aux membres du Comité de Salut Public, il leur annonce "qu'il est douloureux pour mon cœur d'avoir à vous faire part, citoyens collègues, d'un événement affligeant pour l'humanité"2. De fait, cet assassinat lui convient. En effet, l’Ain et plus particulièrement la Bresse se retrouvent sans leaders républicains. Rapidement, Boisset dans sa correspondance et ses rapports, privilégie la thèse de la vengeance populaire et pousse l’opinion dans ce sens. Ce coup de semonce bressan ne l'alerte pas, pour lui ces règlements de compte rentrent dans l'action politique du temps. Sa molle complaisance dans l'Ain mais aussi à Lyon, du fait de son rattachement à un réseau royaliste et contre-révolutionnaire drômois, en relation avec Imbert-Colomès3, amène les muscadins4 bressans aux actions violentes contre leurs oppresseurs d'hier.

Mais la tuerie n'est pas finie, dans la prison de Lons-le-Saunier, Frilet et Laymant sont mis à mort le 6 prairial par des jurassiens. Apeurés, certains proches des sans-culottes tournent leur veste à l’image du citoyen Chatillon cadet qui envoie, le 7 prairial an III, un mémoire où il rétracte ses actions durant la terreur. Joly qui reçoit la lettre rajoute à la main : "il n'est plus temps de se rétracter quand on a fait le mal, et que le temps est enfin passé où l'on avait ôté les moyens de le faire"5. C'est dans la même logique que Dorfeuille, alors emprisonné à la maison de Roanne à Lyon, est défenestré du deuxième étage de la prison le 15 prairial an III. Le massacre de Lyon qui coûte la vie à 96 citoyens se fait avec la connivence passive de la municipalité et de Boisset. A la peur légale de l'an II répond la fureur assassine de l'an III, Joly, qui n'a pas de remord sur le décès des sans-culottes, écrit le 7 prairial an III : "Des scélérats qui ont payé la peine due à leur crime"6. Le même jour, Colin, procureur syndic du district de Lons, écrit à celui de Bourg que "les nouvelles de Paris, sur les mouvements, les terroristes et les attentats commis contre la représentation nationale, ont exaspéré les citoyens, un grand nombre s'est porté dans la nuit dernière à la maison de justice et malgré la surveillance des autorités, Frilet a été sacrifié à leur vengeance. Laymant a été blessé d'un coup de pistolet à l'épaule et d'un coup de sabre…nous avons des nouvelles extraordinaires de Paris qui ne sont pas rassurantes, puissiez nous n'avoir pas besoin de secours mutuels"7. Fermé dans un mutisme politique, Boisset prend un arrêté, le 8 prairial, ordonnant la réincarcération de tous ceux qui ont pris part au terrorisme et qui ont été désarmés. Mais, quelques jours plus tard, le 17, sans doute sous la pression populaire, il ordonne qu'une enquête sur l'assassinat soit ouverte et que les charges retenues contre les sans-culottes survivants soient délaissées. Suite à l'assassinat de leurs amis, Gay, Degrusse, Broccard, Ravet, Duclos, et Maret-Ychard font un repentir solennel le 13 prairial an III, alors que Baron abjure son nom de Chalier. Ce dernier pousse l’opportunisme jusqu'à s'excuser auprès de Thomas Riboud, procureur général syndic du département, et se repentit de ses actions en termes flatteurs pour son interlocuteur : “permettez au malheureux baron chirurgien de recourir à votre sollicitude et à votre probité, pour mettre au grand jour les regrets des erreurs où il a été plongé par des raisonnements faux. . .et par des excès de bonne foi et de crédulité. . .c’est forcément que Javogues m’obligea de prendre le surnom de Chalier,. . .surnom que je déteste depuis que l’enthousiasme à cessé et depuis que des réflexions sérieuses m’ont montré et convaincu que cet homme, mal à propos, un moment illustre, n’était qu’un extravaguant même pis. . .je suis. . .celui qui regrette de n’avoir pas profité de vos avis dans le temps ”8. L'heure est à sauver la tête. Dans leur repentir Gay, Duclos, Baron, Boccard, Bouclet, Ravet, Degrusse et Maret-Ychard se font passer pour de pauvres victimes d’ordres les dépassant : “ils se repentent amèrement des fautes et des erreurs qu’ils ont commises, soit par paroles, soit par écrits, qu’ils voient. . .que ces erreurs proviennent d’avoir. . .suivi des lois trop rigoureuses faites par un parti qui dominait la Convention. . .d’avoir écouté encore les exagérations de divers représentants envoyés dans ce département, que c’est ensuite de leurs arrêtés et de leurs conseils violents, qu’aux soussignés peu instruits ont été égarés, croyant de bonne foi être fort utiles à la patrie. . .déclarent qu’ils se rétractent formellement de toutes espèces de dénonciations contre le représentant Gouly, qu’ils regardent le fédéralisme prétendu comme un fantôme imaginaire qui a fait périr de bons citoyens. . .Vive la république, vive la Convention nationale, vive les bons citoyens9.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

 

1Lettre de Boisset au Comité de Sureté Général, du 5 floréal an III. A.D.R L208.

2Lettre de Boisset au Comité de Sureté Général, du 5 floréal an III. A.D.R L208.

3(BENOIT) Bruno : "Chasser le mathevon à Lyon en l'an III" in le tournant de l'an III, page 505.

4Le terme de muscadin regroupe les jeunes hommes d'origine bourgeoise, qui ont connu la prison en l'an II, ou qui ont eu un de leur proche emprisonner ou guillotiner. C'est le cas à Bourg avec le fils Joly, les fils Braconnier et Montbarbon.

5 A.D.Ain série L.

6 A.D Ain 4L non classé.

7 A.D. Ain série L.

8 Lettre de baron-Chalier à Thomas Riboud, an III. A.D. Ain 2L non classé.

 

9 Lettres de plusieurs terroristes à citoyens de Bourg et aux autorités constitués de la commune, 13 prairial an III. A.D. Ain 2L non classé.

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