« Dans la France du XVIIIe siècle, les survivances serviles, ou « mainmortables »… grevaient encore un nombre non négligeable de provinces, essentiellement dans le centre, l’Est et le nord-est du royaume : en particulier, la Marche, le Bas-Berry, le Nivernais, la Bresse, le Verdunois et — principal pôle de servitude les deux Bourgogne coutumières »1. Dans la Bresse Louhanaise, celle proche de la Franche-Comté, la propriété est avant la Révolution un privilège seigneurial, que le seigneur soit laïc ou ecclésiastique. A Bourg, la main-morte y est abolie dès le XVe.
Cette privation du droit à la propriété, qui enjoint une soumission à un maître de manière servile, peut être à rapprocher à une forme de servage et donc une partie de ce qui constitue, dans le monde exogène, une composante de l’esclavage si l’on s’en réfère à la définition de l’esclavage dans l’Encylcopédie en 1755 : « la liberté dans la société est d’être soumis à un pouvoir législatif établi par le consentement de la communauté, et non d’être sujet à la fantaisie, à la volonté inconstante et arbitraire d’un seul homme en particulier ».
A la fin du XVIIIe, beaucoup de paysans ou de bourgeois de Bresse, se considèrent comme propriétaires des terres qu’ils exploitent depuis des générations. Ils n’en sont de fait, que des usufruitiers puisqu’ils n’en n’ont pas la pleine propriété. Locataires à travers des « contrats de concession de terres [qui] vont presque toujours affecter la forme d'emphytéoses perpétuelles »2… les usufruitiers en ont la jouissance et la possession moyennant le paiement d'une rente foncière annuelle qu'on appelle cens, une taxe fixe que le paysan doit payer tous les mois. Ils peuvent transmettre ces terres sauf en cas de mainmorte, un statut juridique qui fait que le seigneur peut récupérer la terre.
Sous l’Ancien-Régime, la révision des terriers3, qui cherche à remettre en vigueur des droits tombés en désuétude, renforce ces droits sur le peuple. Publié en 1760, le Traité de la Mainmorte et des retraits qui réglementent la succession des serfs a pour but d’empêcher que les biens des serfs ne soient légués à des personnes extérieures à la seigneurie. À leur mort, leurs biens sont donc irrémédiablement légués à leur seigneur selon le principe : « Le serf mort, saisit le vif son seigneur ». Cette mainmorte est une des raisons pour laquelle la Bresse procède d’un habitat éparse et d’un manque de construction à la fin de l’Ancien-Régime.
Lors de la rédaction des cahiers de doléances en Saône et Loire, le rejet des droits féodaux, dont la main-morte et le cens, sont exprimés ainsi que dans l’Ain, où leur abolition est réclamé comme « contraire à la liberté française ». Le rachat des main-mortes réelles et des cens sont réclamés par le Tiers Etats de Bresse, lors de la rédaction tripartite du cahier de doléances de bresse, à Bourg, le 1er avril 1789, ce que consent le Clergé et la Noblesse mais sans morcellement des terriers.
1 BRESSAN (Thierry) : « La critique de la condition mainmortable en France à la veille de la Révolution (1779-1789) » In Annales historiques de la Révolution française, n°307, 1997
2 DUBOIS (Eugène) : « La vie à Châtillon les Dombes d’après les comptes de syndics » in Annales de la Société d’Emulation de l’Ain, 1921.
3 En Bresse Louhanaise notamment, les changements intervenus dans les lignées seigneuriales, avec l’arrivée de nouveaux propriétaires venant de lignée de parlementaires parisiens ou dijonais, provoquent ces réfections des terriers.
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