vendémiaire an III : les sans-culottes résistent

2.64 Les sans-culottes meurent mais ne se rendent pas

 

            Malgré une oppression acharnée, les sans-culottes ne désarment pas et de par les liaisons extérieures, notamment avec la société populaire d'Agde, parviennent à stimuler une résistance : “soyez bien persuadés que nos âmes sont éprouvées, que fermes comme la crête, nous pouvons être vexés, tyrannisés à l’infini, nous pouvons être poignardés, juridiquement assassinés, mais jamais traînés dans des sentiments de faiblesse, jamais reportés en arrière de nos principes ”[1] écrit Juvanon. Entre la fin de vendémiaire an III et brumaire an III, Convers[2], après avoir recouvré sa liberté, le 4ème complémentaire de l'an II, prend la fuite tout comme Martine, Broccard, Ravet et Dorfeuille l'avaient fait avant lui. Convers se réfugie à Nancy tandis que Dorfeuille va à Lyon où, par deux fois, des citoyens de Bourg rendent visite à sa femme pour l'incarcérer et le juger. Malgré cette démarche illégale, la femme de Dorfeuille ne révèle pas la cache de son mari. Le 18 brumaire, certains détenus tentent de s'évader. Pour empêcher cela, une mesure similaire à l'arrêté d'Albitte du 2 pluviôse an II, est prise par la municipalité de Bourg. Grâce à leurs ramifications à Agde, les "terroristes" bugistes notamment, dénoncent à la Convention, le 23 vendémiaire an III, les agissements de Boisset, désigné comme un tyran et le fléau des patriotes.

Craignant à juste titre des ramifications avec l’extérieur, les membres de la municipalité de Bourg s'autorisent à détourner, à l'insu des prisonniers, leur courrier, "tu nous surprends quand tu nous dis que  tu n'as reçu aucune nouvelle de notre part. . .je peut le certifier que la société par l'organe de Masse vous a écrit trois ou quatre fois"[3]. Baron-Chalier, détenu arrive à faire passer des lettres écrites sur des petits morceaux de papier à sa femme à St Rambert, mais la crainte d'être découvert l'agite : "ne fais voir ma lettre à personne"[4] lui écrit il. le 25 nivôse lorsque “les patriotes opprimés de Bourg[5], qui ont “quelques facilités de correspondance[6], tentent de faire passer le 20 une lettre aux représentants Albitte, Méaulle et Jagot. Dès lors les prisonniers constituent un danger réel. Se débarrasser d'eux devient prioritaire. En effet, alors que les premières violences physiques contre les terroristes ont lieu à Lyon en nivôse an III, certains administrateurs de l'Ain craignent que l'on vienne assassiner les terroristes détenus alors que beaucoup d'autres redoutent que leur influence sur une grande partie de la population les amène à être libérés ; ils restent une menace politique pour les nouveaux administrateurs issus des réorganisations post-thermidoriennes[7].

Au mépris de ces entraves, des vexations[8] quotidiennes et une apparente désapprobation populaire, les sans-culottes ne désarment pas. Si ils se résignent sur leur sort, "ne craignez rien ni les uns, ni les autres, je suis content, il ne vous manquera rien"[9], la confiance dans les institutions règne : "à l'aide de l'être suprême tout ira bien, prenez patience, l'union et un solide accord entre tous les citoyens s'opèrera par le moyen de la Convention qui ne veut que la justice et le bien de tous"[10] écrit Baron-Chalier à sa femme en nivôse an III. Ils réussissent cependant à se faire entendre à Paris. Par arrête du 28 nivôse, le Comité de Sûreté Générale libère, Jean Gaillard, Joseph Venard, Jean Fillon, Joseph Grand, Pierre Camille Verdat, Jean-françois Basset, Marie-Thérèse Passerat, Louise Levrat et Marguerite Bourbon, femme Verdat. A Bourg, toutefois, l’attitude violente des autorités amène les détenus à protester contre leurs conditions de détention et la malnutrition. Le 21 pluviôse, les sans-culottes de St Rambert demandent à être transférés dans la maison de détention de leur district à cause de la cherté de la vie burgienne, tout comme Secrétan, Lepely père et fils réclament leur retour à Nantua, qui est refusé le 5 ventôse. Mais comment pourraient-ils souhaiter un meilleur traitement alors que l'agent national de la commune de Bourg, le citoyen Rousset, ancien détenu, abhorre Blanc-Désisles [11]. Il en va de même entre Braconnier, membre du directoire du district de Bourg et Rollet-Marat. Ce climat de tension se répercute aux Claristes, avec le gardien, Gurit, qui ne ménage pas les sans-culottes ; “mais...nous a toujours dit qu’il avait des ordres par écrit et qu’il ne faisait que son devoir ”[12]. Malgré tout cela le district de Bourg donne l'apparence de faire un effort en accordant 40 sous par jour aux détenus pour leur nourriture et entretien, mais ne leur fournit qu'un pöele pour vingt personnes, argumentant "qu'ils sont traités de la même manière que l'ont été les autres détenus. . .et que si on leur fournissait tout ce qu'ils demandent, ce serait aux frais des riches qui se rencontrent parmi eux "[13]. Le 17 germinal, les sans-culottes incarcérés revendiquent de bénéficier de la même ration de pain que les autres prisonniers car sur leur 40 sols Gurit leur en prend 38 pour le pain.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1] Mémoire de Juvanon, 20 nivôse an III. A.C. Bourg I47 bis.

[2] Avant de s’enfuir, Convers témoigne lourdement contre Blanc-Désisles.

[3] Lettre de Ponsard à Bonnet, 21 prairial an II. A.D. Ain 13 L non classé.

[4] Lettre de Baron-Chalier à sa femme, an III. Coll. de l'auteur, BVII/4.

[5] Mémoire de Juvanon, 20 nivôse an III. A.C. Bourg I47 bis.

[6] Mémoire de Juvanon, 20 nivôse an III. A.C. Bourg I47 bis.

[7]La municipalité de Bourg jusqu'en ventôse an III, est toujours constituée en grande partie de gens favorable aux sans-culottes, "Rousset agent national du district de Bourg, voyait (sic)  que la municipalité protégeait ceux qui avait été destitués et incarcérés contre l'assassinat dont  (on) les menaçait  journellement, fut à Lyon . . .pour solliciter la destitution de la municipalité. ". Dénonciations et Insignes calomnies faites contre des citoyens de la communes de Bourg. A.D. Ain 2J 23.

[8]Degrusse, détenu pour lors, nous dit que les citoyens "Cochet de Coligny . . . et . . Debost père  ( détenu en l'an II ce dernier avait échappé à la guillotine à Lyon) allaient chanter presque tous les soirs , sous les fenêtres le réveil du peuple et des chansons qu'il avait fait contre les détenus ". La chanson contre Alban A.D. Ain 2J 23 ou DUBOIS tome 5 page 185.

[9] Lettre de Baron-Chalier à sa femme, an III. Coll. de l'auteur, BVII/4.

[10] Lettre de Baron-Chalier à sa femme, an III. Coll. de l'auteur, BVII/4.

[11] "Blanc-Désiels est le monste dont je veux vous parler. Cet histrion couvert de tous les crimes, dégouttant encore du sang de nos concitoyens, n'a cessé, depuis l'arrestation dont l'a frappé notre vertueux et juste Boisset, de tourmenter les autorités constituées ". Cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution dans l'Ain, tome 5, page 197.

[12] Dénonciation de Gurit par Blanc-Désisles, 19 nivôse an III. A.C. Bourg I47.

[13] Lettre des administrateurs du district de Bourg à Letellier, 18 frimaire an III. A.D. Ain 1L non classé.

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