vendémiaire an III : la chasse aux sans-culottes

2.62 Ouverture de la chasse aux sans-culottes

 

Si, dans l'Ain, comme dans une partie du Sud de la France, "l'enchaînement des dénonciations…accompagnés de violence, dès l'an III, confirme la force des antagonismes qui deviennent une des constantes de la vie politique "1. Quels sont ces antagonismes mais surtout de quelles manières et par la volonté de qui sont-ils, ou non, constants dans la vie politique départementale en l'an III ?

 

Pour les sans-culottes détenus dans les prisons de Bourg, les conditions de détention sont déplorables, le 3 vendémiaire an III, le médecin Chambard, demande le transfert de Philipi, Juvanon oncle, Ducimetière et Duclos, alors au secret, dans une chambre "saine pour être traités"2. Après s’être occupé des sans-culottes de Bourg, Boisset s’attaque à ceux des autres districts. Le 14 vendémiaire, il fait traduire dans la prison de Belley trois sans-culottes de Montluel, Jean Fillon, Joseph Grand et Claude Dalain et le 23 vendémiaire, le comité de surveillance de Montluel dresse leur acte d'accusation. Non contents de mener la chasse aux sans-culottes sur l’ensemble du département3, les thermidoriens la poussent jusqu'à Paris. Le 28 vendémiaire, les officiers municipaux de Bourg envoient à Férréol et Braconnier des affiches trouvées dans la chambre de Juvanon ainsi qu’une lettre de Merle à Juvanon à propos de Gauthier, Merlino et Gouly, du 25 floréal an II, en les priant de les insérer dans le Coup d’œil sur les manœuvres des intrigants de Bourg, qu’ils répandent à Paris. Alors que la société de Bourg publie son Tableau Analytique, le marchand de bois Brillat de Belley, sort un Tableau Indicatif des crimes commis dans le district de Belley. Porte-parole de la société de Belley4, il dénonce ouvertement en des termes incendiaires “quelques êtres immoraux...couverts du masque du patriotisme ”5. Ce sont seize sans-culottes qui sont jetés en pâture à la vindicte populaire, érigée en justice par Boisset. Bien que les thermidoriens de Belley décrivent ces sans-culottes comme des hommes de petite qualité étant “parvenus aux places publiques par la cabale la plus astucieuse et l’intrigue la plus soutenue ”6, la réaction thermidorienne bugiste est moins âpre qu'en Bresse. Les thermidoriens se contentent de demander justice et se bornent à obéir aux arrêtés du Comité de Sûreté Générale. La revanche d’ordre sociale n'existe pas dans le discours des thermidoriens de Belley.

 

Considérant le pouvoir politique et mobilisateur des sociétés populaires dans l’Ain, Boisset, par arrêté du 10 brumaire an III, demande les tableaux des membres de ces sociétés populaires, mais surtout leur épuration afin "d'en chasser les émissaires de Pitt et de Cobourg, les fripons et les oppresseurs du peuple "7. Cette manœuvre sert à réduire à l'impuissance des sociétés exsangues, à l'image de la société populaire de St Denis-en-Bugey, désertée par ses membres, où seules cinq à six personnes sont réunies autour du président. Cet arrêté de Boisset joint à la demande des thermidoriens de Bourg du 5e vendémiaire an III, auprès de Ferrand, d'empêcher les ennemis des autorités légitimes de s'exprimer, permet de museler l'opposition sans-culottes encore en liberté.

Bien que le 19 brumaire, le représentant Legot demande à l'accusateur public du tribunal criminel de l'Ain la libération des terroristes, quelques jours plus tard, le 1er frimaire, Vezu l’agent national du district de Montluel, fait passer à celui de Belley les plaintes retenues contre les trois sans-culottes de son district. Vézu se montre menaçant envers les trois hommes : “on ne saurait trop les tenir de près. . .prenons garde qu’ils n’échappent à la justice qui leur est due ”8. Afin de mener leur combat politique à terme et supprimer l’opposition sans-culotte, les thermidoriens choisissent de n'accorder qu'un intérêt d'avis aux décisions des représentants du peuple concernant l'élargissement des détenus, l’épuration doit se faire avec ou contre l’avis des représentants légaux de la Nation et contre les lois mises en place ; le 18 frimaire, le directoire du district de Bourg demande au représentant Letellier si les sans-culottes arrêtés pour avoir "favorisé les complots de Robespierre et de sa faction "9 peuvent bénéficier des effets de la loi du 12 brumaire an III relative aux biens des détenus : gestion de leurs biens et reconnaissance des scellés, qu'ils ne leur appliquent pas, les considérant différents des autres.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

 

1 Etat des recherches de Martine Lapied sur les comités de surveillance dans le Sud Est de la France, tiré de son mémoire d'habilitation, 1997.

2 Arrêté du directoire du district de Bourg, 3 vendémiaire an III. A.D.Ain série L.

3 Le 18 vendémiaire an III, la société populaire d’Ambronay envoie à Paris une pétition pour soutenir Boisset contre les dénonciations.

4 “ Envoyé par mes concitoyens pour exprimer leurs voeux et leurs plaintes, je me suis imposé le devoir de présenter...les organisateurs de tant de scélératesses ”. Tableau indicatif des crimes commis dans le district de Belley. Collection de l'auteur.

5 Tableau indicatif des crimes commis dans le district de Belley. Collection de l'auteur.

6 Tableau indicatif des crimes commis dans le district de Belley. Collection de l'auteur.

7 Arrêté de Boisset, A.D. Ain 13L 8 à 10.

8 Lettre de Vézu à l’agent national du district de Belley, 1er frimaire an III. A.D Ain 3L non classé.

 

9 Lettre des administrateurs du district de Bourg à Letellier, 18 frimaire an III. A.D. Ain L non classée.

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