thermidor an II : le retour des modérés

2.61 Le retour des modérés : genèse des messidoriens

 

Le 22 thermidor, Baron-Chalier démissionne de son poste. Malgré cet acte opportuniste il est mis en état d'arrestation le 24 et rejoint ses coreligionnaires aux Claristes. De son côté, Convers ne désespère pas et se désolidarise de ses camarades et demande, en vain, le 24 thermidor, son élargissement à Boisset.

Lors d’une fête en l’honneur de Boisset, le 24 puis le 30 thermidor, un recueil de chants réactionnaire est distribué à la foule de Bourg. Sa diffusion ne peut que modeler l’opinion des indécis. Les paroles démagogiques de ces chants ont pour but de choquer les possédants et ceux qui ont intérêt à la modération : “ces magistrats à la Vauquoi, peu jaloux de suivre la loi, ennemis de toute justice, ne consultant que leurs malices, font égorger leurs citoyens, c’est pour s’emparer de leurs biens1. Afin de ce faire comprendre des habitants des campagnes, certaines chansons sont même rédigées en patois bressan : “y z’iron à la guellotena, payi lu maux qui nos in fat, é faron ena fotia mena, en expirant tui lieu forfat2. Modèle de communication de masse avant l’heure, ces chants sont mêlés à des couplets destinés aux soldats. Boisset teste une nouvelle orientation que les thermidoriens appliqueront : dé-révolutionnariser, dé-populariser, dé-sansculotisser.

 

Comme les sans-culottes en leur temps, les thermidoriens de la municipalité de Bourg correspondent avec ceux de Belley au sujet de “la procédure que vous instruisez contre les intrigants de votre district ; nous procédons avec beaucoup d’exactitude à la procédure de ceux qui se sont distingués dans notre commune par leurs principes ultra révolutionnaires...quand nous découvrirons d’autres pièces nous vous les enverrons3. A Hauteville, Meygret Collet renseigne allègrement Boisset sur “nos petits messieurs ”4 et travaille à perdre ses ennemis : “l’intrigue s’agite plus que jamais, des lâches se plaisent à répandre que le retour des chefs n’est pas éloigné. Cette idée et la Terreur qu’ils ont su inspirer, compriment les esprits et chacun croit prudent d’attendre en silence les événements...Attendra-t-on ...que nos ennemis reviennent une seconde fois triomphant au milieu de nous. Vous devez aussi faire sentir à Boisset combien il est importe...à la réussite de ses opérations de renouveler les autorités constituées des campagnes qui sont remplies d’hommes dévoués à la faction...nos ennemis veillent et notre sommeil sera le sommeil de la mort...il serait aussi très utile d’envoyer dans les communes des campagnes des hommes propre à former l’opinion publique qui est très corrompue ”5. Avec la mort suspecte de Thévenin, et les mesures sécuritaires prises, le 2 fructidor, par le directoire du district de Bourg, qui décide d'effectuer des réparations aux Claristes pour "ôter par la aux détenus qui y sont renfermés tout moyen de communication et correspondance dangereuse à la chose publique vu que plusieurs d'entre eux y sont mis au secret par le représentant du peuple Boisset "6, le sort des sans-culottes devient précaire : “ Férreol disait publiquement...que nous devions périr, que la Convention venait à nous absoudre, on en viendrait à la fusillade. Le nommé Dufour, chapelier,...disait, il faut les guillotiner d’abord, on les jugera après...le jour de la mort de Thévenin, les sentinelles dans l’intérieur de la maison témoignaient grande joie, annonçaient leur désir qu’il en arrivat autant à tous les détenus7. Le simple fait d’avoir été membre d’un comité de surveillance est un signe d’opprobre susceptible de mener à l’incarcération. Sur ordre de Boisset, une perquisition a lieu, le 8 fructidor chez le menuisier Truchard, où des papiers sont saisis. Les mœurs des personnes suspectées d'amitié jacobine sont examinées. Une conduite dépravée est un acte d'accusation ; le district de Bourg prend des mesures de sûreté contre le commandant du second bataillon de la Garde Nationale de Bourg qui a insulté Legrand, lors de son arrestation en l'an II, mais surtout pour être l'ami d'une servante. Le 10 fructidor, les administrateurs du district de Bourg perquisitionnent chez le citoyen François, vétéran, pour savoir si la domestique8 de Rollet-Marat ne lui a pas confié un paquet de courriers appartenant à Rollet, Désisles et autres. La peur s’empare de ceux toujours en liberté, Jean Baptiste Dupin, menuisier d’Ambérieu, juge de paix, prend la fuite pour ne pas être arrêté par le district de St Rambert comme terroriste le 18 fructidor.

Mais la réaction n’est pas unanime, si la fête du 10 août à Bourg rassemble entre 950 et 1000 personnes tant de la ville que de Ceyzériat, qui chantent9 et louangent Boisset lorsqu'il apparaît à son balcon, le conseil général de la commune de St Rambert soutient ses sans-culottes en leur délivrant des certificats de civisme. Pourtant le triomphe de Boisset encourage les timorés à la délation, le 20 fructidor, Giriat commandant de la Garde Nationale de Bourg est dénoncé pour abus de pouvoir par les officiers municipaux de Viriat. A Gex, un mémoire contre Mathieu et Nicod Marat, notamment distribué par le secrétaire du district, à la manière du tableau analytique qui se met en place à Bourg, circule dans une auberge de la ville. A Bourg, les épouses des détenus manifestant plusieurs fois leur soutien à leur mari, mais aussi à la politique de l'an II, sont mises en détention et le 23 fructidor, l'agent national du district de Bourg autorise la municipalité à faire grillager les fenêtres des cellules des femmes Désisles, Rollet et Merle pour éviter qu'elles ne puissent pas "communiquer soit par écrit soit verbalement avec qui que ce soit "10.

A Bourg, si une portion manipulée de la population chante “ainsi le vertueux Boisset, à ma foi trouvé le secret, de dissiper cette vermine, en attendant la guillotine, qui de son habile tranchant rendra justice à l’intrigant11, à Paris ses louages ne sont pas unanimes. Il est dénoncé à la tribune des Jacobins par Bassal qui l'accuse "de s'être laissé circonvenir par l'aristocratie et d'avoir opprimé les patriotes"12. Forts de ces premières critiques, les sans-culottes Mathieu et Hollier de Ferney sont députés à Paris, le 24 fructidor, pour le dénoncer au Comité de Sûreté Générale13. Alors que Mathieu est reconnu et arrêté, Hollier parvient à se rendre près de Fouché, Javogues, Amar, Merlino, Albitte, Bassal, Jagot et Méaulle qui l’assurent qu’ils “font tous leurs efforts pour vous délivrer de Boisset ”14. Effectivement, le 25 fructidor, un courrier du Comité de Sûreté Générale interdisant toutes poursuites contre les sans-culottes arrive à Bourg. Malgré cela, ils sont maintenus aux arrêts. L’onde thermidorienne s’agrandit et dépasse largement les limites de l’Ain lorsque le 29 fructidor, Soulavie, résident français de Genève, est suspecté par le comité de surveillance du district de Bourg d’avoir des correspondance suspectes depuis la mort de Robespierre. Toutefois, Boisset, se sentant inquiété et désavoué, délègue à Paris Férréol et Braconnier afin de “faire triompher la vérité ”15 et, le 30 fructidor, la Gazette Française publie une lettre d'un citoyen de l'Ain qui fait l'éloge de Boisset et fustige la sans-culotterie.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

1 Couplets sur l’arrivée du représentant du peuple Boisset à Bourg, collection de l'auteur.

2 Couplets sur l’arrivée du représentant du peuple Boisset à Bourg, collection de l'auteur.

3 Lettre des officiers municipaux de Bourg à ceux de Belley, 16 fructidor an II. A.C. Belley, rév. 10.

4 Lettre de Meygret Collet, 14 fructidor an II. A.C. Belley, rév. 10.

5 Lettre de Meygret Collet, 14 fructidor an II. A.C. Belley, rév. 10.

6 Arrêté du directoire du district de Bourg, 2 fructidor an II. A.D.A.série L.

7 Mémoire de Juvanon, 20 nivôse an III. A.C. Bourg I47 bis.

8 Cette dernière, apprenant l’arrestation de son maître, enlève des documents se trouvant chez lui en escaladant la façade de sa maison avec une échelle. Risquant de tomber elle appelle la femme Michaud à l'aide.Suspectée d’aide, cette dernière est arrêtée et mise en détention. Le 19 pluviôse an III, Josephte Jacquet, femme de Germain Michaud demande sa mise en liberté. Son dossier est immédiatement déféré devant le tribunal criminel. Malgré sa pétition elle ne peut être mise en liberté qu'à l'issue de son procès par la cour criminel.

9 Un cahier de Couplets sur l’arrivée du représentant du peuple Boisset à Bourg de 39 pages est même imprimé.

10 Arrêté du directoire du district de Bourg, 23 fructidor an II. A.D.Ain série L.

11 Couplets sur l’arrivée du représentant du peuple Boisset à Bourg, collection de l'auteur.

12 Gazette Française, 30 fructidor an II. Société d'Emualtion de l'Ain. Bibliothèque 415.

13 Le frère de Borsat de Ferney, est officier dans l'armée révolutionnaire parisienne et connaît Fouquier-Tainville.

14 Extrait des délibérations de la société des sans-culottes de Ferney. A.D. Ain série 13L non classé.

 

15 Lettre de la municipalité de Bourg, 28 vendémiaire an III, Archives Gorini, boite 154.

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