messidor an II : thermidor avant thermidor

2.59 LA REACTION MESSIDORIENNE

 

L'arrêté arrive à Bourg le 1er floréal au soir. La nouvelle de l'arrestation de la municipalité bouleverse la société populaire déjà bien ébranlée politiquement. Dès lors les séances de la société populaire deviennent houleuses entre le parti sans-culotte altéré et le parti modéré qui se montre au grand jour et occupe les tribunes. Il devient alors fréquent de voir quelques-uns des sans-culottes du comité de surveillance ou du district s'en prendre à la foule qui assiste à la séance depuis les tribunes. Le lendemain Alban, Blanc-Désisles, Raffet, Degrusse, Morel, Faguet, Pellet, Bon et Baux sont arrêtés et mis en route pour la capitale. Frillet qui se trouve à Revonnas est arrêté plus tard et rejoint ses collègues. Lors de leur voyage, les sans-culottes traversent Chalon où ils sont bien reçus par la municipalité. A Tournus, le 2 floréal, ils écrivent à la société populaire de Bourg. Merle se rend immédiatement à Paris pour prendre la défense de ses compagnons. Dorfeuille annonce aux sociétaires qu'il va écrire à Robespierre, Couthon et St Just pour demander leur retour. La société populaire rédige une adresse à la Convention pour prendre leur défense bien que Millet et Dorfeuille reconnaissent que les officiers municipaux ont commis quelques indélicatesses. Duclos à tribune de la Société populaire de Bourg tonne : "Citoyens, depuis trois mois je vous dis qu'il faut faire des dénonciations contre Gauthier, Deydier et autres. Et vous êtes des lâches de ne l'avoir pas fait encore puisque ces députés sont des gueux et des scélérats. Que Gallien pour engager et faciliter les dénonciations enhardi même les sociétaires qui y avaient de la répugnance d'écrire; Citoyens, les membres de la Convention nationale ne sont que nos commis à 18 livres par jour et c'est nous qui sommes les négociants, et finit par demander l'extrait mortuaire de toute la députation de l'Ain excepté Jagot"1. Gay propose d'écrire aux députés afin de leur exprimer le mécontentement que fait naître leur conduite. Convers n'hésite pas à dire de Deydier que les patriotes de Pont-de-Vaux "sont sans qualités et endormis par le style de Deydier"2. Merle, à Paris, déclare "ne veux voir aucun de nos députés....(car) ils n'ont pas la confiance des sans-culottes de Bourg"3. Juvanon est député auprès d’Albitte qui n’est pas étonné de cette arrestation du fait des calomnies répandues contre eux. Le 3 floréal, Albitte reçoit une copie de l'arrêté du Comité de Salut Public, signé Carnot, St Just, Barère et Prieur. Il s'empresse de faire part au Comité de Salut Public de sa contrariété d'apprendre l'arrestation des officiers municipaux de Bourg. Bien que la situation semble préoccupante, Albitte annonce au Comité de Salut Public qu'il ne peut pas venir à Bourg en ce moment. En effet, Albitte, cherche à se protéger en s’éloignant de ces patriotes trop encombrants, d’autant plus que les menaces sardes aux frontières du Mont-Blanc lui fournissent une excuse imparable pour éviter ce voyage à Bourg qui le mettrait en porte-à-faux entre les sans-culottes et les modérés soutenus à Paris par Gauthier des Orcières et Gouly. Le 4 floréal, ce sont les officiers municipaux de Belley qui sont mis en état d’arrestation et conduits à Paris.

A leur arrivée, les sans-culottes bressans et belleysans sont installés dans la maison du Languedoc. Le 6 floréal, Merlino, qui ignore l'arrestation de Blanc-Désisles, lui fait part de ses craintes sur la dérive hébertiste de la société populaire de Bourg : "tu aurais bien senti qu'en avilissant les membres l'on cherchait à avilir le corps"4. Deux jours plus tard, le 8 floréal, Dorfeuille et Gallien vont rencontrer Méaulle à Lyon. De retour à Bourg, ils affirment que Méaulle, qui doit venir dans l'Ain, "saura bien ne pas s'apitoyer sur les réclamations, et apprécier au contraire, le mérite des sans-culottes"5. En dépit de l'arrivée prochaine de Méaulle dans l'Ain, Rollet-Marat écrit une lettre pleine de gage d'amitié à Albitte, le 21 floréal : "Bonjour, montagnard Albitte, comment te portes-tu ? Conserve toi pour les sans-culottes, pour ces fiers républicains dignes de la liberté que tu leur as conquise par ton génie révolutionnaire et par tes sages arrêtés. Loin d'eux tu seras toujours parmi eux; ils te bénissent tous. Continue ta carrière glorieuse; aime-nous, tu as toute notre confiance. Ah ! si tous les membres de la Convention imitaient ton exemple, les vrais patriotes ne seraient pas toujours calomniés, dénoncés aux comités. Les dénonciations pleuvent contre moi; n'importe j'irai toujours mon train. Tes arrêtés ont été sacrés pour moi; je les ai fait exécuter avec vigueur, avec sévérité. Tels sont les reproches qui me sont faits, et que quelques uns de tes collègues, à Paris, recueillent et entassent avec voracité pour me perdre "6.

Avec l’arrestation de l’élite idéologique et populaire du département, la fraternité des sans-culottes se met en marche. Le 5 floréal, la société populaire d’Ambérieu écrit à celle de St Rambert : “la Révolution s’assied...consolidons dans l’intérêt de la République l’uniformité des opinions...que la Terreur et la probité soient sans cesse à l’ordre du jour ”7 : la chute des sans-culottes de Bourg et de Belley n’entraînera pas dans le département une “guerre d’opinion...funeste...aux hommes ”8 ; les cœurs sont même sereins et les patriotes chantent : “les sans-culottes d’Ambérieu, aux sans-culottes de tous lieux, aimant la liberté, la douce égalité, chantons la République, la livraison du métail fanatique ”9. L'arrestation des chefs sans-culottes de Bourg et Belley sonnent le début de la lutte sociale armée : "je présumais que votre affaire n'était pas bien mauvaise. Tout cela me fait bien voir que nos ci devants voleurs, ou avocats et procureurs, étaient des géants à tout entreprendre. Heureusement que vous ne vous êtes pas mis dans le cas d'être soupçonné de la moindre des choses, car ils saisiraient le moment pour vous perdre. Les vrais républicains n'ont à se reprocher que de n'avoir pas écrasé cette canaille dès les premiers principes de la Révolution, nous les avons toujours reconnus pour des traîtres à la Patrie, et si nous en eussions tué chacun trois ou quatre, tout nos maux ne nous seraient pas arrivé, mais puisque nous sommes en danse, il faut danser"10.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

1Témoignage de Claude Marie Gayet, cahier de dénonciation 1. A.D. Ain ancien L219.

2Lettre du 4 ventôse an II, de Vauquoy et Convers. A.D. Ain 1L 255.

3Lettre de Merle. A.D. Ain 13L 60.

4 Lettre de Merlino à Blanc-Désisles, 6 floréal an II. A.D. Ain 13L 60.

5Cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution dans l'Ain. Tome 5 page 28.

6Registe de correspondance du directoire du district de Bourg, A.D. Ain 4L non classé.

7 Lettre des sans-culottes d’Ambérieu à ceux de St Rambert, 5 floréal an II. Collection de l'auteur.

8 Lettre des sans-culottes d’Ambérieu à ceux de St Rambert, 5 floréal an II. Collection de l'auteur.

9 Lettre des sans-culottes d’Ambérieu à ceux de St Rambert, 5 floréal an II. Collection de l'auteur.

 

10 Lettre de Bonnet à son frère Antoine Bonnet de Belley, St Malo, 30 prairial an II. A.D. Ain 13L 60.

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