germinal an II : haro sur les prisons de l'Ain

2.53 Haro sur les prisons

 

La saisie de la correspondance de Gauthier Murnans adressée au Comité de Salut Public, signalant Dorfeuille comme un ennemi de Robespierre, renforce l’attention des sans-culottes de Bourg contre les détenus : “c’est du fond des maisons d’arrêt que la calomnie fait siffler les serpents. C’est là que se trament tous les complots contre les patriotes ; c’est là que l’on s’occupe sans relâche à détruire partiellement tout le bien...les placards et les lettres anonymes souillent chaque jour les murs et les rues de cette commune...continuez, citoyens représentants, à purger la terre de la liberté des insectes qu’elle renferme...fermes à notre poste, nous ferons tous nos efforts pour vous seconder1. Désormais couverts par cette adresse à la Convention, les sans-culottes redoublent les visites aux détenus dans plusieurs prisons du département. A Belley, les papiers des suspects incarcérés et leurs objets de valeur sont confisqués, ces prises rapportent 9886 livres et 3 sols. A Ambronay, Rollet-Marat, Alban et Lajolais, après s'être raisonnablement abreuvés, se rendent à la maison de détention fouiller les détenus en compagnie des officiers municipaux et de volontaires de l'Isère : "Le déclarant assure que Lajolais et ses deux complices étaient saouls comme des coquins. Ils se permirent de fouiller dans une des premières chambres, ils recensèrent les lits par terre ainsi que les malles, déplièrent tous les effets et linges jusqu'aux mouchoirs de poche. L'on fut obligé de retirer presque du feu les livres de géométrie et de mathématique en disant que c'était des ouvrages fanatiques(sic). Ils firent mettre dans un sac plusieurs effets, livres, rasoirs, boucles d'argent de jarretière que l'on dit m'avoir été rendues(sic). Après avoir été grisés ils se transportèrent dans la chambre d'Yvoley qui dans ce moment était assis sur son lit, il sifflait, Alban et Lajolais lui tinrent des propos très durs en lui disant de sortir de dessus de son lit et de ne pas siffler; il s'ôta en effet de dessus son lit et continua de siffler. Lajolais en le traitant de scélérat lui dit de se taire, il lui répondit seulement qu'il lui était bien permis de siffler, cela engagea quelques propos et Alban et Lajolais ordonnèrent à un homme de la force armée d'aller chercher des fers et que l'on lui mit au pied et aux mains et que l'on l'entraîne à la tour(sic). Le citoyen Guichelet et Divoley furent en effet conduits à la tour, mais on ne trouva point de fers; ils se permirent les mêmes vexations dans toutes les chambres à l'exception de la mienne où ils n'entrèrent pas malgré mes invitations. Les volontaires et autres gardes nationaux juraient entre eux des vexations qu'ils nous faisaient éprouver en nous disant tout bas de ne pas faire attention, qu'ils étaient saouls. Le déclarant ajoute. . . que Lajolais mit la main sur la poignée de son sabre et menaça d'en frapper Divoley et lui promit de le faire traduire à Lyon pour y être guillotiné"2. Les sans-culottes cherchent à regrouper tous les suspects politiques à la prison des Claristes à Bourg. Tandis qu'à Lyon les six détenus extradés le 30 nivôse passent devant la Commission Temporaire3, à Bourg Alban dénonce à Pache, maire de Paris, la présence dans la capitale du comte de Montrevel et lui demande de surveiller Gromaire Rougérie et Groscassand-Dormiond. La nouvelle de l'arrestation d'Hébert ne tranquillise pas les sans-culottes qui au contraire redoublent d'ardeur contre les détenus, marginalisant leurs actions aux limites de la légalité. Le 12 germinal, à 11 heures du soir, les officiers municipaux se rendent à Bicêtre pour enlever l'argenterie et l'argent des prisonniers. Mais leur préférence reste à la maison des Claristes, d'où proviennent les dénonciations dont ils sont victimes à Paris. Alban, accompagné de Degrusse, Morel, Boccard, du commandant du poste de la Garde Nationale et de six fusiliers, se rend aux Claristes "pour surveiller les intrigants et les mal intentionnés qui peuvent encore nuire à la chose publique et considérant que dans les maisons de détentions il peut encore exister des correspondances et des trames avec les ennemis de la République"4. Ces visites se font avec plus de violence qu’ailleurs : "Alban est souvent venu faire des visites nocturnes dans la maison de détention des Claristes. Que dans le courant du mois de mars (vieux style) il en fit une accompagné de Degrusse, alors officier municipal, Morel notable et Broccard menuisier membre du comité de surveillance, avec un détachement d'un bataillon du Jura qui était alors en garnison à Bourg, que dans cette visite qui dura depuis onze heures du soir jusqu'à six heures du matin, je n'ai pas quitté ces individus un instant. Alban prit au citoyen Jean Chossat Montbaron des couverts d'argent, de même qu'aux citoyens Micond de Chalamont et Favre. Il prit aussi au citoyen Vernette, notaire à Montrevel, neuf louis en or, et dix huit livres en argent, le tout dans une filoche verte, dans le gousset de côté de sa culotte, il lui demanda à voir son portefeuille, le visita, et sur les observations que lui fit le citoyen Vernette, que s'il lui prenait ce qu'il avait dans son portefeuille, il n'aurait pas de quoi subsister(sic). Alban ne prit aucun assignat lui rendit son portefeuille en lui disant qu'il était un aristocrate, qu'il baisait sa servante qu'il avait chez lui une coupe de Louis qu'il ne voulait pas les déclarer, mais qu'il les trouverait bien. Il prit aussi au citoyen Archimbaud son écritoire et son agrafe le tout en argent, en lui disant mille horreurs ainsi qu'au citoyen Viallat père, il jetait en fouillant les malles, tous les linges ça et là, sans égard aux observations que lui faisaient les détenus à ce sujet. Comme Alban accompagné de Degrusse dans le même temps, entrèrent dans la chambre du citoyen Guerrin ex-prêtre5. Là ils commirent toutes sortes d'horreurs et de cruautés, lui demandant son argent dans la persuasion qu'il en avait, ils lui dirent que s'il ne lui donnait pas, il lui couperait le col. Ce détenu se lève au même instant tout en chemise, se met à genoux en lui disant qu'il n'en avait pas sur lui, mais que s'ils voulaient attendre au lendemain il leur en donnerait et que tout en tremblant, il les suppliait de ne lui faire aucun mal. Alban et Degrusse bien loin d'être touchés de ces supplications, n'en furent que plus hardis. Alban après avoir fouillé longtemps dans les malles, paillasses et matelas dudit Guerrin, répéta que s'il ne lui donnait pas sur le champ son argent, il n'y avait qu'a lui couper le col. Degrusse répond : il n'y a qu'a prendre mon sabre, il a le fil. Enfin après une heure environ de perquisition, n'ayant rien trouvé ils finirent par déchirer tous ses livres. Ils lui prirent une veste, une culotte, un habit et autres effets qu'ils donnèrent à un détenu et finirent par mettre Guerrin aux barreaux, où il fut confondu avec des gens de la maison de justice qui étaient condamnés"6.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

1 La société des sans-culottes de Bourg Régénéré à la Convention Nationale, n.d. Collection de l'auteur.

2Déclaration du citoyen Joseph Debost, ancien militaire, du 9 nivôse an III. Extrait des minutes des dénonciations du comité révolutionnaire et de surveillance du district de Bourg. A.D. Ain ancien L219.

3 Seul Duhamel monte sur l'échafaud.

4 Registre de délibérations de la municipalité de Bourg, A.C. Bourg série D.

5 Il s'agit de Jean Baptiste Guérin, né en 1741, mort en 1827, frère de Joseph Marie Guérin, négociant en soie, maire de St Chamond en 1791. D'abord jureur, apostat, il promet même de se marier, puis il se rétracte et refuse de prêter le serment de Liberté et d'Egalité. Relaps, il se rétracte de nouveau. Devenu missionnaire catholique en 1794, ses missions sont chaotiques et souvent entravées, il est arrêté le 5 octobre 1793 et jugé par le tribunal criminel de l'Ain le 4 décembre 1793 qui le condamne à la déportation le 14 frimaire an II. Durant ses missions, il ne prend ses actes que sur des feuilles volantes qui ne seront rassemblées avec d'autres qu'en 1799. Il est détenu à Brou jusqu'en vendémiaire an III.

 

6Témoignage de Claude Marie François Joly, cahier de dénonciation, A.D. Ain ancien L219.

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