ventôse an II : une vague de suspicion

2.52 La vague de suspicion

 

            La méfiance envers les détenus et leurs correspondances divise les sans-culottes sur le sort des prisonniers, d’autant plus que les dénonciations des arrêtés d'Albitte et des patriotes proviennent principalement de la correspondance de Gauthier-Murnans, détenu, qui la fait parvenir à Paris sous le couvert du département grâce à Reydellet, qui est incarcéré le 19 ventôse. La municipalité effleure le projet de se débarrasser des détenus rapidement ; les canonnades des Brotteaux donnent un modèle aux sans-culottes, d’autant plus que la garde nationale de Bourg se plaint d'avoir trop de travail à surveiller les prisons. Par l'intermédiaire de Duclos, l'idée qu’il n'y aurait qu'à "charger un canon à la mitraille et de le tirer contre cette maison "[1] est lancée. C'est sans doute dans cette perspective que le 23 ventôse, Lajolais donne au citoyen Montbarbon, capitaine de la compagnie des canonniers de la garde nationale de Bourg, le mode de rassemblement de la garde nationale sur la place Marat : "les canonniers au moment que l'on battrait la générale dans la nuit se retrouveraient au devant du bâtiment du département"[2]. L'ordre de Lajolais[3] stipule que le signal d'alarme peut être donné, pour n'importe quelles raisons, que par lui sur la réquisition des corps administratifs. Le mot d'ordre est Mort, le mot de ralliement Liberté.

De plus, les relations entre la municipalité, le comité de surveillance de Bourg et le district de Bourg commencent à être mauvaises, Rollet-Marat et Gallien sont désapprouvés. Le 24 ventôse, Rollet-Marat rédige une lettre à l'attention de Blanc-Désisles pour justifier sa conduite à Coligny. Quelques jours après, le conseil général de la commune de Bourg interdit à Rollet-Marat l'entrée des maisons de détention de Bourg, à moins d'être accompagné de deux officiers municipaux ; car il est accusé par la municipalité et Alban, de n'avoir aucun respect pour les magistrats sans-culottes.

 

            Dans l'Ain, la politique d'incarcération, relancée par un arrêté d’Albitte du 23 ventôse, est doublée d’incarcérations ordonnées par les comités de surveillance et par les agents nationaux des communes. Ces arrestations font souvent l'amalgame des personnes tombant sous le coup des arrêtés d'Albitte et des citoyens dont la conduite incivique les amène à être dénoncés ou soupçonnés par la sans-culotterie ; Vauquoy fait arrêter le citoyen Poizat, en pleine représentation au théâtre de Bourg, pour simple cause d'incivisme. Le fait de porter des images pieuses et de posséder des recueils de chansons religieuses amènent les deux filles Archimbaud à être traitées comme suspectes par Blanc-Désisles. Tombent aussi dans le décompte de ces détenus, toutes les religieuses et tous les religieux qui, n'ayant pas signé leur abdication, se retrouvent en détention[4] mais aussi tous les criminels de droit commun. C'est ainsi que le comité de surveillance de Bourg, fait arrêter Gauthier Cincinatus[5], le 25 ventôse, officiellement car il n'a pas de certificat de civisme et n'a pas rejoint son poste aux armées, mais officieusement pour porter atteinte à Gauthier des Orcières, son cousin. Pensant régler la situation en enfermant un grand nombre de personne, les sans-culottes ne font qu’envenimer la situation et se préparer une opposition féroce.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1]Témoignage numéro 15, cahier de témoignage A, A.D. Ain ancien L219.

[2]Divers témoignages du cahier de dénonciation, A.D. Ain ancien L219.

[3]Voir LEDUC (Ph.) : Histoire de la Révolution dans l'Ain, tome 5 page 102.

[4]Il est aussi très difficile de savoir le nombre de prêtres non abjurateurs qui se retrouvent en prison pour cette faute. En effet, certains prêtes, même si ils ont abjuré, peuvent se retrouver en prison pour cause de noblesse (arrêté du 23 ventôse) ou tout autre motif.

[5]Général de brigade, il est décoré de l'ordre de Cincinatus, créé par Washington, lors de la guerre d'indépendance d'Amérique.

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