12 ventôse an II : vers un nouveau 31 mai

2.51 Un nouveau 31 mai et la scission patriotique

 

Tandis que la démagogie et la calomnie entrent en lice auprès des Comités à Paris, à Bourg et à Meximieux1 l’unanimité patriotique commence à se craqueler. Le 12 ventôse, Rollet-Marat est pris à parti par Blanc-Désisles et Alban, suite à une altercation entre lui et Crozet de Coligny. Il est même dénoncé par la municipalité de Bourg comme un despote. Avec cette désapprobation de l'agent national du district de Bourg par la municipalité, une nouvelle étape politique est franchie : les sans-culottes les plus ultras commencent à se séparer de certains de ceux jugés trop tièdes. Le lendemain, la lecture de plusieurs lettres des Cordeliers à Dorfeuille à qui ils demandent "d'être plus révolutionnaire et plus ferme que jamais"2 agitent la séance de la société populaire de Bourg. Alban, à la tribune, annonce "que sous peu de jours, arriverait un événement terrible à Paris, bien plus extraordinaire que celui du 31 mai"3, "que les sans-culottes auraient une entière victoire "4. Il renchérit : "Dans un mois, il arrivera à Paris un événement semblable à celui du 31 mai; il s'agit d'épurer de nouveau la Convention : un grand nombre de ses membres périront et parmi eux, Gouly et tous les députés du département de l'Ain excepté Jagot"5 . Son discours achevé, Dorfeuille prend la parole : "Citoyens, il s'élève dans le sein de la Convention, un parti puissant, dont Robespierre est le chef, il veut faire périr les sans-culottes, il faut qu'il périsse ou que nous périssions; serrons-nous; nous sommes perdus si nous manquons de courage ou si nous nous désunissons"6. Si le décret de la Convention du 28 pluviôse avait calmé les ardeurs des sans-culottes et apaisé les détenus sur leur sort, les propos de Dorfeuille et d’Alban agissent comme des brûlots. D'autre part, si le ressentiment envers Gouly et Gauthier des Orcières unit les sans-culottes, l’idée d’une épuration de la Convention et d’une partie de ses représentants comprenant la députation de l’Ain, les divise : seuls les membres de la municipalité et du comité de surveillance, à l'exception de Convers, y sont favorables. Les membres de la société de Bourg n'hésitent pas à parler des crapauds du marais et à dénoncer le petit nombre de patriotes qui composent la Convention. Pour Alban, la Convention est gangrenée, il faut l'amputer7. Pour Blanc-Désisles la Convention est trop vieille, il faut la rajeunir8 : "Suivant lui, la Convention n'avait plus d'énergie et le Comité de Salut Public était sans force parce que sa marche était entravée par les modérés. Il fallut. . .renouveler l'un et l'autre.. . . Dans les entretiens particuliers qui se tenaient chez lui, il ne cachait point sa haine implacable contre tous les représentants du département l'exception faite du représentant Jagot"9. Pour cela ils comptent sur les sociétés populaires, car ils savent que la légitimité de la Convention émane du vote du peuple et se persuadent que ce dernier réuni en société populaire est le vrai souverain. Ils cherchent à ramener à eux le pouvoir politique en soumettant la Convention aux sociétés populaires : "ce traître (de Gouly) voulait nous dissoudre, mais il n'a pas le droit , ni même la Convention, nous sommes le peuple souverain et c'est nous qui pouvons les dissoudre"10. De son côté, Rollet-Marat, ainsi que son substitut Gallien, ne s'engage pas dans cette démarche : "Le citoyen Rollet, agent national, tâche, autant qu'il est en son pouvoir, d'empêcher l'effet que produisent sur la classe indigente du peuple de pareils discours11. . . Cependant les arrestations continuent. . .Le citoyen Rollet allège autant que sa place peut lui permettre , le poids de ces vexations"12. Se trouvant en marge d’un mouvement qui ne tolère pas d’opposition, Rollet-Marat tente de se rapprocher de la municipalité et le 27 ventôse, dans une ultime tentative de réconciliation il demande à Alban “ l'union entre les autorités constituée "13.

Informés des actions des représentants de l’Ain auprès des Comités et de la Convention, les sans-culottes réagissent vivement dès le 14 ventôse. Baron-Chalier adresse à d'Albitte un réquisitoire sur la conduite de Blanc-Désisles et de Gouly. Dans ce mémoire de sept pages, le patriote bressan est montré comme un homme courageux et dévoué alors que Gouly est montré comme un modéré14. A la tribune de la société de Bourg, Duclos dénonce Gauthier des Orcières : “Gauthier député protège les fédéralistes les mieux prononcés du département en jetant de la défaveur sur les plus chaud patriote de cette commune et de ce qu’il n’est pas en tout les principes révolutionnaires15, et demande sa dénonciation comme modéré. Gallien renchérit en demandant la dénonciation de tous les députés de l’Ain sauf Jagot, car “ ils demeurent dans une inaction criminelle ”16, allant même jusqu'à prétendre que si le département est “accablé de réquisitions pour les subsistances ce n’était qu’à eux auxquels nous devions nous en prendre17.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

1 Le 17 ventôse, la séance de la société populaire de Meximieux est troublée par plusieurs citoyens qui dénoncent l’aristocratisme du comité de surveillance et de la municipalité. Ils annoncent qu’ils veulent fonder leur propre société et font imprimer pour cela, le 19, des cartons d’invitation.

2Tableau analytique . . . A.D. Ain ancien L219.

3Témoignage numéro 15, cahier de témoignage A, A.D. Ain ancien L219.

4Témoignage de Jean Rougemont. Cahier de dénonciation 1, Ain ancien L219.

5Lettre de Gauthier-Cincinatus, du 10 germinal an II, cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution dans l'Ain. Tome 5 page 14.

6La société des sans-culottes de Bourg Régénéré à la Convention Nationale, n.d. Collection de l'auteur.

7Témoignage de Jean Rougemont, cahier de dénonciation 1, A.D. Ain ancien L219.

8Témoignage de François Marie Charron, A.D. Ain ancien L219.

9Déclaration de Convers. A.D. Ain ancien L219.

10Témoignage de Claude Marie Gayet, A.D. Ain ancien L219.

11Il cite plus haut un discours qu'il a entendu à la société populaire, par Blanc-Désisles et Alban : "Citoyens. . .Souvenez-vous que vous êtes souverains; souvenez-vous que vous êtes plus puissant que la Convention. Vous pouvez la dissoudre, mais elle ne peut pas vous dissoudre; elle n'en a ni le droit ni le pouvoir. Emparez-vous du bien des riches, ils sont à vous : ces égoïstes ont assez jouis ; il est temps que les sans-culottes, que les pauvres jouissent à leur tour ”.

12Lettre de Gauthier-Cincinatus à Gauthier des Orcières, citée par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution dans l'Ain. Tome 5 page 16.

13 Registre de correspondance du district de Bourg. A.D. Ain ancien 2L 28.

14Conduite du représentant Gouly dans les districts de Bourg et dans celui de Belley, par Baron-Chalier, manuscrit in°4 de 7 pages. A.D. Ain série L.

15 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D.Ain 13L 9.

16 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D.Ain 13L 9.

 

17 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D.Ain 13L 9.

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