pluviôse an II : sans-culottes et commissaires civils

Les sans-culottes et les commissaires civils : L'union sacrée

 

Le lendemain, aux alentours de 20 heures, le représentant du peuple Albitte se rend de son logement à la salle de l'Arquebuse, où se tiennent les séances1 de la société des sans-culottes pour faire un discours sur ses intentions et la politique qu'il entend mener dans le département. Après la séance, les sociétaires les plus en vue se rendent à un repas patriotique donné en l'honneur des libérés à l'auberge de Claude Renaud, faubourg de Lyon. Autour de la table, soixante personnes sont conviées à la fête. Au cours de la soirée, le vin du patron n'étant "à leur fantaisie, ils songèrent un moment où ils pourraient en trouver d'autre. Ils s'informèrent des endroits et on leur indiqua d'autres aubergistes, qu'alors plusieurs d'entre eux dirent : il n'y a qu'à aller chez quelques aristocrates ou quelques détenus. Qu'ils sortirent et à leur retour, ils annoncèrent qu'ils en avaient trouvé chez le citoyen Perruquet Bevy, qui était bon. Et ils envoyèrent chercher cinquante à soixante bouteilles qui furent bues dans ce repas2, outre les autres vins qui leur furent envoyés, notamment un panier de vin blanc que leur fit porter le citoyen Brunet capitaine de gendarmerie "3. Dès cette soirée, le ton politique est donné et le séjour des commissaires placé sous le signe de la répression révolutionnaire. Les sans-culottes et les commissaires d'Albitte fraternisent rapidement. Ces derniers entrent dans la vie politique du département, non seulement par le soutien qu'ils accordent aux sans-culottes contre Gouly, mais également en se faisant les portes paroles du gouvernement révolutionnaire par la création d'une presse politique, par leurs relations étroites avec certains conventionnels4 et leurs affinités avec les clubs des Jacobins, des Cordeliers et la Commune de Paris. Les sans-culottes, loin de calmer les ardeurs des commissaires civils5, épousent durant ce repas leur conduite : "Quelque temps après l'arrestation de ce dernier (le général d'Oraison), Alban ci-devant maire, Lajolais général remplaçant d'Oraison et son aide de camp, se transportèrent au domicile du citoyen d'Oraison et firent la demande à lui déclarant, d'un harnais, d'une selle et toutes les brides, et d'une vache et d'un portemanteau. Le déclarant leur observa qu'il ne pouvait leur en faire la remise, attendu que les dits objets étaient sous scellés. Alban maire pour lors, dit au déclarant qu'il n'avait pas beaucoup de façon à les lever, ce qu'il exécuta au même instant sur la porte du grenier. Il y entra avec Lajolais, son aide de camp et le citoyen Bayet sellier à Bourg. Ils firent emporter les objets sus désignés à l'exception de la vache, qu'ils entreposèrent dans un autre grenier, sur lequel le scellé n'avait pas été apposé, pour la prendre. . .au besoin. Alban dit en voyant la selle, c'est précisément ce qu'il me faut, attendu que je n'en ai point. Lajolais proposa à Alban d'échanger cette vache contre une qui lui appartenait. On me demanda mon consentement. Je m'y opposai en leur observant que je n'étais pas maître, qu'il pourrait faire cet arrangement avec mon maître lorsqu'il sortirait, à quoi répondit Lajolais que d'Oraison ne sortirait jamais que par la charrette de la guillotine. J'observai à Alban que j'étais gardien des scellés, que s'il s'égarait quelque chose, j'en répondais, qu'il fallait qu'il verbalisât de la levée des scellés qu'il venait de faire et qu'il réapposât, que dans le cas qu'on vint en faire inventaire qu'on m'accuserait de les avoir levés. A quoi il me répondit que je ne devais pas craindre, qu'il apporterait le cachet de la municipalité dans le courant de la semaine. Il fit cependant chauffer de la cire, rattacha la bande du scellé et y donna un coup de coude et dit que c'était bon. Les harnais enlevés furent donnés à Bayet pour le récompenser de la perte d'autres harnais...Quelque temps auparavant le gros Gay, concierge de la Grenette, vint à onze heures du soir, il fit grand tapage à la porte et en entrant me dit de par la nation, que ton cabriolet soit prêt pour demain à six heures du matin. Je lui observai qu'il manquait quelques courroies, il me répondit qu'il manque le diable, il faut qu'il soit prêt et l'envoya chercher à l'heure dite par un citoyen que je ne connais pas. Il s'en est servi pendant longtemps, les gens du représentant Albitte s'en sont servis aussi et l'ont gardé entre tous environ trois mois et demi. Il se trouva tellement usé quand on le rendit le citoyen d'Oraison le vendit"6. C'est aussi à ce moment que la solidarité des sociétés populaires se met en route au profit des sans-culottes de Belley arrêtés par ordre de Gouly. La société populaire du canton de Virieu, lors de sa séance du 4 pluviôse, prend une délibération en faveur de Torombert, auquel des communes du canton apportent leur soutien par la délivrance de certificats de civisme. La société députe trois de ses membres auprès d’Albitte aux fins d’obtenir la libération de Torombert, Bonnet et Carrier. Elle en profite pour leur recommander de fraterniser avec les frères de Bourg.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

1La société populaire des sans-culottes de Bourg se réunie tout les deux jours en soirée.

2Pour cette fête la municipalité de Bourg réquisitionne 57 bouteilles de vin chez le citoyen Perruquet Belvey. De même, la nourriture qui est servie à la municipalité est payée suivant le maximum.

3Témoignage de Claude Renaud, cahier de témoignage A. A.D. Ain ancien L219.

4Dorfeuille est un homme reconnu par les représentants à Lyon, ainsi que sans doute par des ténors parisiens. "Dorfeuille. . .adoptait tout les principes d'Hébert son ami et parent, et qu'il était en relation intime avec Robespierre, Couthon t St Just ". Cahier de dénonciation 1. A.D. Ain ancien L219.

5 "On m'avait dit qu'il n'y avait, calcul fait, qu'une centaine de patriotes dans tout le département de l'Ain, et que la contre-révolution s'y mitonnait ". Le père Duchesne le cadet, l'arrivée du père Duchesne à Bourg.

 

6Témoignage de Mathieu Chemitt, marchand, du 8 nivôse an III. A.D. Ain ancien L219.

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