2.37 Gouly le proscrit

A Bourg-Régénéré, les sans-culottes s'activent contre Gouly. Le 19 nivôse an II au soir, après la séance de la société populaire, le maire Alban va chercher des papiers dans le bureau de Blanc-Désisles, au département puis se rend à Lyon auprès des représentants du peuple auxquels il expose la situation à Bourg. Lorsqu'il revient, le 22 nivôse, il annonce à la société des sans-culottes le rappel de Gouly et l'arrivée prochaine de Fouché et Albitte. Certains que l'action que mèneront les deux représentants répondra à ses attentes politiques, il n'hésite pas à dire à la tribune "qu'Albitte venait pour purger les détenus qui ne tarderaient pas à porter leur tête sur l'échafaud "¹. Alban se présente comme l'organisateur de ce rappel car, explique-t-il, les représentants de Lyon "avaient sous leurs mains des arrêtés en blanc du Comite de Salut Public "². Il se rend ensuite chez Gouly et lui donne une copie du décret du 9 nivôse qui le rappelle à Paris : “ le maire eut l’indécence d’insulter un représentant du peuple, dans le ton et la manière qu’il mit en lui exhibant l’arrêté du Comité de Salut Public qui nommait Albitte à ma place. . .je m’en suis plaint, il n’a pas été puni ”³. Le soir même, Gouly fait part de son étonnement au Comité de Salut Public de se voir ainsi rappelé par un décret du 9 nivôse alors que le 14 il était chargé de vérifier les opérations des commissaires nationaux des représentants à Lyon dans les districts de Gex et de Montluel. Gouly, qui perçoit son retour à Paris comme un désaveu du Comité de Salut Public, garde une grande rancœur à l'égard d'Albitte. Le 24 nivôse, de Châtillon de Michaille, dans son rapport au Comité de Salut Public sur les relations entre les Suisses et les rebelles Lyonnais, il décrit la situation politique tournée contre lui par l'union des sans-culottes bressans et mâconnais : “je viens d’apprendre que des meneurs de la Société populaire de Mâcon entretenaient des intelligences avec quelques agitateurs de cette commune. . .j’ai fait arrêter provisoirement ceux qui m’ont été dénoncés ; ce sont les mêmes qui avaient demandé le 15 du mois dernier l’armée révolutionnaire et la commission populaire. Leurs projets perfides ayant échoué par ma présence et mes arrêtés, ils n’ont cessé d’intriguer avec Mâcon et quelques autres districts pendant mon absence. J’apprends aussi. . .que j’avais été dénoncé à la Convention Nationale. . .Ces dénonciations ne m’empêcheront pas de punir les coupables partout où je les trouverai, de quelques masques qu’ils se couvrent”⁴. Son sentiment d'insécurité renforcé par la parution des aventures du petit Gouly suivie de sa promenade, de sa confession et de sa mort arrivée le même jour⁵, le pousse à quitter Bourg pour le Bugey et à il prendre des mesures militaires exceptionnelles : “Gouly avait contremandé le départ du dépôt du 1^er régiment de hussards qui était à Bourg. . .il avait amené de Nantua des troupes de réquisition pour opposer, disait-il, des maquis de résistance à une prétendue incursion des ultrarévolutionnaires de Mâcon, dans le département de l’Ain”⁶.

Ayant réussi à écarter un obstacle à leur politique, les sans-culottes ressentent toute la hardiesse des vainqueurs et s'apprêtent à diriger le département de la manière qu'ils l'entendent, entre démocratie directe à la parisienne, mouvance révolutionnaire méridionale et rapprochement Lyonnais : “le Comité de Salut Public l’avait rappelé sur le champ et nous avait envoyé le brave Albitte qui saurait réparer les injustices ”⁷.

Fouché, ne pouvant pas venir, adjoint plusieurs commissaires civils⁸ politiquement et professionnellement rompus à ce type d'action, à son collègue Albitte et au général Lajolais. Albitte ne se met en route pour Bourg que le 27 nivôse, pour attendre que son successeur Méaulle arrive à Lyon. Gouly dont le départ est imminent, commence à dérouter sur Albitte les affaires courantes. Il accélère ce transfert d’autant plus qu’il se sait indésirable par les sans-culottes de l’Ain et de ce fait en position délicate vis-à-vis du Comité de Salut Public et de ses collègues de Lyon. Ainsi, le 27 nivôse, Gouly reçoit une plainte de Soulavie, résident de la République Française à Genève, sur le manque de moyens légaux⁹ pour faire arrêter les “ ennemis cachés dans Genève ”¹⁰, des émigrés, qui cherchent à “insurger les suisses ”¹¹ contre la France. Il demande à Gouly de travailler conjointement pour saisir ces ennemis de la République et lui demande de venir “sur le champ à Genève où le besoin de la Patrie t’appelle ”¹². Soulavie compte sur la discrétion du conventionnel : “tu prendras les précautions nécessaires parce que tu as la force au dehors ; viens donc vite seul avec ton secrétaire ; un nouvel horizon s’ouvrira sous tes yeux, mais viens sans le faire savoir à personne ”¹³. Mais dans sa logique de désengagement Gouly déclare à Albitte : “j’abandonne à ton zèle pour la chose publique le soin d’apprécier les instances vives de notre chargé d’affaires pour l’aider de tout ton pouvoir dans la position où il se trouve. Je te salue fraternellement ainsi que mes collègues Laporte et Fouché ”¹⁴. C'est un homme vexé et humilié qui s'apprête à quitter le département de l'Ain où le parti des sans-culottes s'apprête à recevoir Albitte dans l'allégresse. Dans l'arrondissement de Bourg, l'annonce de son arrivée se répand rapidement. A Ceyzériat, la société populaire des sans-culottes vrais amis de la République du canton se hâte d'adopter une motion conviant le dieppois à venir leur rendre visite.

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II