nivôse an II : les attaques des sans-culottes contre Gouly

2.35 Les attaques des sans-culottes

 

Le 1er nivôse an II, profitant de l'élan modérateur de Gouly, 37 membres réintégrés de la société populaire de Bourg dénoncent Blanc-Désisles, en le comparant à Néron, Rollet-Marat au diable et Thévenin à un nouveau Nabuchodonosor : les propos sanguinaires des sans-culottes contre les fédéralistes, sauvés de la mort par la suspension de la Commission Populaire, effrayent les sociétaires réintégrés par Gouly. Alors que le 4, ce dernier décrète d'arrestation Brillat-Savarin et le vicaire de Belley avec ordre de les conduire au Tribunal Révolutionnaire de Paris, il fait aussi arrêter Bonnet, Torombert et Carrier, les leaders du mouvement jacobin belleysan, pour avoir outrepassé leur fonction et agi arbitrairement. En appliquant le décret du 14 frimaire, Gouly cherche à éliminer des postes clef et de la scène politique locale les patriotes les plus exaltés et les fédéralistes reconnus, coupant les factions de leurs chefs. Gouly cherche ainsi à réconcilier la Révolution avec le plus grand nombre possible de personnes. Pour cela il ouvre la porte des prisons à ceux qu'il juge patriotes. Le 4 nivôse, Gouly fait libérer, malgré son arrêté du 29 frimaire, huit prêtres, cinq nobles, quatorze religieuses, huit cultivateurs, deux notaires, un médecin et quatre citoyens1. Le lendemain, il suspend les arrêtés de Javogues sur les démolitions de châteaux, sur la liberté des cultes et sur l’atelier de soulier de Trévoux. De Belley, il se rend à Gex. Durant son séjour dans le Bugey, le représentant prend à cœur d’organiser les comités de surveillance. A Gex, le 12 nivôse, Gouly s'attaque au problème des frontières puis il épure la municipalité accusée de complicité avec des contrebandiers. Pour cela, il prend un arrêté similaire à celui du 29 frimaire en incluant les ex-agents seigneuriaux et les négociants spéculant sur les denrées de première nécessité. Mais, plus draconien encore est son arrêté du 14 nivôse, qui supprime le district de Gex en le réunissant à celui de Nantua. Dans la journée, le représentant apprend qu'en dépit de ses précautions, les chefs sans-culottes belleysans gardent des relations avec leurs partisans et décide de les faire transférer à Grenoble. Cette mesure ne laisse pas les frères bressans indifférents, pour qui le serment de soutien mutuel ne s'arrête pas aux bornes du district de Bourg.

Averti, le 14 nivôse, des vues et du grignotage des représentants du peuple à Lyon sur l’Ain2, Gouly radicalise sa position, tout en étant mis en porte-à-faux voir en opposition avec les ceux-ci, par le CSP qui joue la carte de la division. Le 16 nivôse, Gouly lève une taxe sur les riches célibataires dans les districts de Gex et de Belley, “pour arrêter la mendicité, fournir des secours aux défenseurs de la patrie...qui alors manquaient du nécessaire, ainsi que pour subvenir aux besoins des volontaires blessés...qui se retiraient dans leurs foyers après le combat des lignes de Wissembourg3. Cette taxe fait des émules ; le 17 nivôse, le district de Trévoux soumet à Gouly un arrêté du comité de surveillance de la commune qui établit une garde de cinq hommes indigents aux frais des détenus et qui impose les frais de nourriture des détenus pauvres aux détenus riches. Malgré sa nouvelle politique d'arrestations et de taxes, Gouly s'attire la haine des sans-culottes de Bourg, Belley et Gex. Son désir de mener sa mission à bien tout en n'étant le sujet d'aucune faction le conduit au désaveu par les autorités administratives des districts, sur lesquelles repose l'ultime chaînon du Gouvernement Révolutionnaire. Dès le 13 nivôse, Reydellet de Bourg lui écrit : "te voilà déjà en proie aux calomnies ; l'on crie ton modérantisme"4. A la Convention, Deydier, député fortement soupçonné de modérantisme par les sans-culottes mais donnant l'aspect du patriotisme le plus pur à Alban5, soutient l'action de Gouly qui devient vraiment suspect de tiédeur, non seulement à cause de ses actes mais aussi par la publicité qu’en font les modérés : “l’arrêté de Gouly devait être remis sur le bureau, vu l’interprétation contre-révolutionnaire que lui donne les aristocrates6. A Bourg Régénéré, Gouly est ouvertement attaqué à la société populaire par Merle, de retour de Lyon, Alban et Gallien. Des sans-culottes de Mâcon sont mêmes députés à Paris pour dénoncer Gouly à la barre de la Convention, comme Gallien et Chaigneau, en nivôse, qui se rendent à Paris pour le dénoncer à la Convention, au Comité de Sûreté Générale et à Ferrand et Amar qui leur promettent de s’en occuper. Les sans-culottes voient en lui, le destructeur de leurs efforts depuis octobre 1793 et le contrepoids qui favorise l'émergence d'un parti modéré, issu d'une faction des sans-culottes comme des fédéralistes, incarné par Rivail, Reydellet, Favélas, Buget et Macey. La mission de Gouly dans l'Ain divise aussi à Paris la députation de l'Ain, si une partie d'entre elle incarnée par Jagot, soutien les sans-culottes, une partie incarnée par Deydier soutien l'effort de Gouly. En effet, tandis que les sans-culottes cherchent à dénoncer Gouly à Paris, Deydier tient informé une partie des citoyens de l'Ain, incarnée par Févélas, le secrétaire de Gouly, des événements parisiens : "il y a du bruit aux Jacobins, deux partis se forme, celui d'Hébert d'un côté, Camille Desmoulins, Bourdon de l'Oise, Fabre d'Eglantine et Philipeaux de l'autre"7.

Gouly, informé des agitations burgiennes, se sentant "assailli de toutes part par les ambitieux intrigants"8, décide, pour endiguer le mouvement de dénonciation dont il est la cible, d'agir de manière forte comme à Belley. Le 17 nivôse, de Ferney, il fait arrêter Blanc-Désisles, Rollet-Marat et Convers. L'arrêté arrive à Bourg le 19. Alors que Blanc-Désisles et Rollet-Marat sont arrêtés le jour même, Convers a le temps de fuir, au matin, pour se rendre, avec Laymant, à Mâcon. Peysson est arrêté pour actes de fédéralisme mais aussi pour sa correspondance avec les principaux fédéralistes du département de l'Ain, Tardy et Pagès alors en fuite. Blanc-Désisles et Rollet sont enfermés aux Claristes9 "dans de petites chambres très obscures et très froides et dans lesquelles on pouvait aisément communiquer"10. Rollet-Marat supporte très mal la détention ; non seulement il est insulté par les autres détenus, mais il est aussi gravement incommodé par des émanations de gaz provenant d'une trappe de charbon. Le 19 au soir, à la société des sans-culottes de Bourg, Alban soutenu par les citoyens Duclos, Juvanon, Laymant, Martine et Chaigneau11 fait adopter une dénonciation de Gouly proposée par Juvanon. Cette dénonciation, adressée au Comité de Salut Public, comporte trente-six points. Gouly y est dépeint comme "un scélérat qui avait élargi les aristocrates et mis en arrestation les sans-culottes"12. A Lyon, les attaques contre Gouly sont entendues. Lorsque Convers revient à Bourg le 21 nivôse, il rejoint, entre des gendarmes, ses deux compagnons à la prison des Claristes et les prévient "que les représentants du peuple Albitte et Fouché de Nantes devaient arriver de Lyon dans deux jours"13. A peine arrivé, le notaire est conduit dans une cuisine où se trouvent d'autres détenus qui ne tardent pas à l'insulter copieusement. Dès son incarcération, le district de Bourg, redoutant l'influence des trois patriotes, prend un arrêté pour les isoler. Plusieurs personnes du district se rendent à la prison des Claristes pour s'enquérir de "trois chambres convenables pour y placer les citoyens Blanc-Désisles, Rollet-Marat et Convert. . . qui doivent être gardés à vue pour ne communiquer avec personne"14, n'en trouvant pas de convenables, les administrateurs du district décident de les placer dans la maison Bachet, annexe de la prison. Au moment du transfert, les officiers municipaux retrouvent Rollet-Marat inanimé dans sa cellule, suffoqué par les vapeurs toxiques de la cave à charbon. Rapidement évacué à l'air libre, le médecin reprend connaissance. A une demi-heure près, l'agent national du district de Bourg aurait succombé. Blanc-Désisles et Rollet-Marat sont placés dans deux chambre du premier étage de la maison Bachet et Convers au rez-de-chaussée.

Avec Gouly, la sans-culotterie départementale s'éloigne définitivement du centralisme parisien jacobin pour clamer une sorte d'autonomie sociale et non plus géographique comme en mai et juin 1793. L'arrivée d'Albitte est alors symptomatique d'une volonté politique de pouvoir utrarévolutionnaire régional sous la direction des représentants du peuple à Lyon.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

1Gouly trouvant qu"une grande partie des arrestations faite par les comités de surveillance dans le district de Belley, l'ont été par des interprétations forcées de la loi du 17 septembre et par suite des haines personnelles ". Cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la révolution. . . Tome 4 page 111. Carrier, Bonnet et Torombert étaient membres du comité de surveillance de la commune de Belley, d'où les inculpations de Gouly à leur égard.

2 « le comité de salut public te fit passer…une note relative aux opérations des quatre commissaires envoyés dans le département de l’ain par les représentants qui sont a ville-affranchie. Ce département étant confié a ta vigilance le comité a cru devoir te faire part de ces renseignements ». Lettre du CSP à Gouly, paris, 14 nivôse an II. A.D. Ain 1L 252.

3 Compte des dépenses du représentant Gouly, 5 pluviôse an III. Collection de l'auteur.

4Cité par DUBOIS (Eugène) : La Société populaire des . . ., page 46

5 Le 18 nivôse an II, il écrit à Alban : "je connais très bien les fédéralistes…ils le séduiront pas mon patriotisme ni attèreront en nrien la haine que j'ai voué aux aristocrates…je ne croiscependant pas que nous ayons beaucoup de crontre révolutionnaire dans notre département. Lettre de Deydier à Alban, 18 nivôse an II. A.D. Ain 18J 7.

6 Registre de la société des sans-culottes de Trévoux. VALENTIN SMITH : Bibliothéca Dombésis.

7 Lettre de Deydier à Févélas, 17 nivôse an II. A.D. Ain 18J 7.

8 Lettre de Gouly à la citoyenne Gaudot de Gex, 25 pluviôse an II. Collection de l'auteur.

9 C’est le nom d’usage bressan, respecté dans le texte, désignant le convent des Clarisses de Bourg.

10 Procès-verbal de vérification des cellules des Claristes, 21 nivôse an II. A.D. Ain série L.

11Cahier de témoignage A. Témoignage pages 2, 25, 31, 40, 48, 51, 61, A.D. Ain ancien L219.

12Cahier de témoignage A, témoignage page 35, A.D. Ain ancien L219.

13DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution...Ttome 4 page 135.

 

14 Procès-verbal de vérification des cellules des Claristes, 21 nivôse an II. A.D. Ain série L.

Écrire commentaire

Commentaires: 0