frimaire an II : Gouly de retour dans l'Ain

Le choc Gouly

 

Gouly arrive à Bourg le 22 frimaire an II avec des consignes claires et précises que le Comité de Salut Public lui envoie régulièrement. Le 28 frimaire, le comité de Salut Public le « charge de revoir et d’examiner avec soins tous les arrêtés pris par [celui qui est encore] notre collègue javogues »1.

Gouly est accompagné de son secrétaire Févélas2 ainsi que du commissaire des guerres Rivail. La ville est en effervescence, les hussards du 1er régiment et une partie de la population, n'écoutant plus les officiers municipaux, sont sur le point d'en venir aux mains avec les hommes de l'Armée Révolutionnaire qui ont arrêté trois hussards et qui comptent les faire traduire à Lyon. Gouly se rend auprès de Javogues avec qui il s’entretient. Ce dernier quitte Bourg dans la pensée que Gouly continuera l'impulsion qu'il a donnée. Son départ et celui des soldats de l'Armée Révolutionnaire calment les esprits. Gouly, se sentant libre de ses actions, annonce aux sans-culottes “qu’il venait établir le plan de Robespierre3 dont il se montre partisan4. Mais Gouly à la surprise des sans-culottes suspend la Commission établie par Javogues : "les représentants du peuple dans les départements qui ne sont point et n'ont point été en rébellion, n'avaient point, à mon avis, le droit de constituer un pareil établissement"5. Il dénonce implicitement Javogues et prend le parti de Gauthier des Orcières qui vise à minimiser la crise fédéraliste bressane en évitant une effusion de sang. Si la minimisation de la crise fédéraliste de l'Ain est sincère de la part de Gauthier des Orcières, pour Gouly, ce n'est qu'une démarche proprement calculée. En effet, sa mission dans l'Ain est à la mesure du personnage, jusqu'au-boutiste par moment, puis éminemment modéré à d'autres. La présence de Gouly et son esprit de modération, au moment où les sans-culottes allaient obtenir leur vengeance, sont des facteurs qui auront de grandes retombées politiques. De plus, la mission de Gouly se déroule dans un contexte de troubles frumentaires, les marchés des grandes villes de l’Ain sont mal approvisionnés et la population ne mange pas à sa faim6 malgré des récoltes satisfaisantes : "la récolte est des plus avantageuse. Nous avons à notre port 20 bichets de froment"7 écrit l'épouse Chevillard de Briord.

Gouly devient l'espoir des modérés et des sans-culottes. Ceux de Trévoux espèrent trouver en lui un représentant du peuple à poigne, comme ceux présents à Lyon, qui “verroit que le patriotisme seroit encore mieux en vigueur qu’il ne l’est aujourd'hui et que les aristocrates avaient tort de se réjouir, que les détenus étaient bien éloignés d’être élargis8. De leur côté, les modérés de l'Ain, apprenant ses actions à Bourg, le glorifient, ce qui éveille les craintes des sans-culottes : “les aristocrates avaient déjà fait courir le bruit que les mesures révolutionnaires avaient été trouvées par lui exagérées dans notre département9. Dès le 22 frimaire, Gouly va à l'encontre de la politique et des mesures prises par ses successeurs dans l'Ain, tout en activant la politique antireligieuse : "le fanatisme, dans ce département, a besoin de grandes mesures et de beaucoup de prudence pour être anéanti sans commotion dangereuse" écrit-il au Comité de Salut Public10. Mais la prudence que prône Gouly va à l'encontre des souhaits de la sans-culotterie bressane. En effet, missionné par le CSP pour revoir les arrêtés que Javogues a pris, notamment ceux « contraires aux principes et particulièrement a ceux du seize frimaire sur la démolition des maisons de luxe »11, Gouly en s’en prenant aux actions symboliques de Javogues dans l’Ain, s’attire rapidement la méfiance des sans-culottes auprès desquels l’image de Javogues reste auréolée d’un grand patriotisme. Isolé par les sans-culottes, Gouly ne sort que pour “aller dans les sociétés populaires et au milieu du peuple y faire des discours et chanter des hymnes patriotiques12. Les circonstances dans lesquelles se met en place cette seconde crise politique entre le pouvoir local et un représentant parisien ne profite qu'un temps aux sans-culottes, mais dans quelle mesure est-elle un moteur de politisation ultrarévolutionnaire, réactionnaire à un souffle modérateur jacobin ?

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

1 Lettre du CSP à Gouly, paris, 28 frimaire an II. A.D. Ain 1L 252.

2 Ancien secrétaire de Dumouriez et de Carra, sa venue dans l'Ain est très mal perçue par les sans-culottes.

3 A.C.Bourg I47bis.

4 “ Gouly arrivant dans le département de l’Ain ne parlait que de Robespierre comme étant l’homme unique ”. A.C.Bourg I47bis.

5Lettre de Gouly au Comité de Salut Public, 23 frimaire an II, cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution . . .Tome 4 page 88

6 “ citoyen représentant, les officiers municipaux de la commune de Belley Régénéré t’observent que le marché de leur commune est mal approvisionné...la plus part des citoyens murmurent , et si les choses de changent pas, il est à craindre que la tranquilité publique ne soit compromise ”. Lettre des officiers municipaux de Belley à Gouly, 18 nivôse an II. Collection de l'auteur.

7 Lettre de Jeanne Marie Besson à son époux, Chevillard, Briord, 20 octobre 1793. Collection particulière.

8 VALENTIN SMITH : Bibliothéca Dombésis.

9 VALENTIN SMITH : Bibliothéca Dombésis.

10Lettre de Gouly au Comité de Salut Public du 23 frimaire an II. BOULOISEAU (Marc) : Actes du Comité de Salut Public. Supplément, 2e volume, Paris, 1971.

11 Lettre du CSP à Gouly, paris, 28 frimaire an II. A.D. Ain 1L 252.

 

12 Lettre de Gouly au Comité de Salut Public, 7 ventôse an II. BOULOISEAU (Marc) : Actes du Comité de Salut Public. Supplément, 2e volume, Paris, 1971.

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