frimaire an II : Javogues dans l'Ain

Le séjour de Claude Javogues

19 - 22 frimaire an II

 

Le 18 frimaire an II, Blanc-Désisles est à Mâcon en compagnie de sa femme1 où il est reçu par le conventionnel. Les deux hommes marchent sur les quais de Saône. Blanc-Désisles lui dresse un tableau politique de la ville de Bourg et de l'Ain. Avec le soutien de son épouse, le patriote bressan demande à Javogues de venir dans l'Ain, proposition que le représentant accepte après quelques réticences. Le lendemain, Blanc-Désisles revient à Bourg, précédant de trois heures l'arrivée de Javogues qu'il accueille avec un discours place Marat. Javogues est accompagné de Ronsin et de 400 hommes de l'Armée révolutionnaire parisienne en route pour Lyon. Grâce à Javogues et à l'Armée révolutionnaire, la politique des sans-culottes va pouvoir s'exercer. Le 20 frimaire, les membres de la municipalité répartissent une taxe révolutionnaire par quartiers2, dont chacun est confié à un détachement de l'Armée révolutionnaire dirigé par deux officiers municipaux. Ils sont chargés de rechercher le numéraire et l'argenterie. Seule la population aisée de la ville semble soumise à cette taxe3, qui allie vengeance sociale et besoin national. Toutes ces réquisitions se font contre reçu, mais quelques illégalités sont commises4. Parallèlement une prémisse de déchristianisation se fait sporadiquement par l'autodafé de livres et de symboles religieux pris chez les personnes visitées. L'incompréhension et la surprise face à cette action est totale chez les perquisitionnés, créant certaines rancœurs.

Javogues imprime la démarche révolutionnaire désirée par les sans-culottes et la surpasse même lors de son discours à la société des sans-culottes le 21 frimaire dans lequel il pose les principes politiques qui vont désormais régir le département de l'Ain. Javogues insiste sur le fait que la Révolution après avoir été politique doit être sociale et dirigée contre "messieurs les honnêtes gens"5 afin d'être complète : "qu'ils sachent ces vils égoïstes, ces vils satellites des despotes, qu'il n'y a de propriété que les individus de la société; que là où la société souffre, elle doit voir dans ces prétendus propriétaires, que d'exécrables usurpateurs, que de cruels vautours qu'il faut retrancher du sol de la liberté "6. Javogues structure la pensée politique des sans-culottes autour de trois thèmes : les fédéralistes, les aristocrates et les riches. Puis, Javogues, dans la fièvre des esprits qui suit la chute de Lyon, ordonne "qu'il faut que cette place7…soit le tombeau de leurs crimes"8. Avec de tels propos, Javogues ne peut que répondre positivement à la requête que sollicite Blanc-Désisles9, il met en place une Commission de Justice Populaire. Alors que Baron-Chalier et Rollet-Marat10 sont nommés, le 21 frimaire, commissaires dans le district de St Rambert pour mettre en état d'arrestation les personnes suspectées de s'être rebellées avec Lyon, Blanc-Désisles reçoit une lettre de Gauthier des Orcières, qui tout en se montrant complaisant avec le désir de justice des patriotes, dresse un tableau moral de ce qu'il attend d'eux, mais aussi des intentions qui animaient sa mission dans l'Ain quelques mois plus tôt : "je conviens que vous avez été dans une position difficile parce que d'une part mes collègues et moi nous faisions connaître les véritables dispositions de la Convention Nationale et d'autre part vous aviez dans le voisinage des représentants du peuple qui adoptaient des mesures différentes ; la loi sur le Gouvernement Révolutionnaire provisoire (du 14 frimaire) vient de mettre un terme à toutes les indécisions. Je ne suis point étonné que l'on ait suspecté de modérantisme celui qui ne voulait point déléguer les pouvoirs dont il était revêtu, celui qui n'a voulu jamais créer dans le département des armées révolutionnaires et des comités centraux de surveillance : eh bien il est maintenant démontré que toutes ces institutions étaient dangereuses. . .j'ai usé sobrement des mesures révolutionnaires et je m'en applaudis encore. . .j'ai la conviction que si mon collègue Dubois-Crancé et moi avions été trop sévères dans le mois de juillet notre expédition sur Lyon manquait "11. Gauthier laisse entendre à Blanc-Désisles qu'il n'y aura pas d'esprit de vengeance politique dans l'Ain, que Gouly en est le garant, comme lui l'avait été en juillet et août 1793 ou comme certains autres représentants, à l'image de Lindet dans l'Eure qui régla la crise fédéraliste sans arrêter personne.

 

Si le séjour de Javogues est un moteur politique et idéologique important, la présence de Gouly dans l'Ain, choisi pour son modérantisme par la députation de l'Ain est à l'origine d'un deuxième fédéralisme mais d'obédience ultrarévolutionnaire. En effet, Gouly fédéralise les rancoeurs ultrarévolutionnaires autour de sa personne comme Amar et Merlino avaient focalisé celles des fédéralistes de mai 1793.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

1 Témoignage de Benoît Grillet, marchand coutelier, du 8 fructidor an II. A.D. Ain 15L 131.

2Tableau analytique. . ., A.D. Ain 15L 131.

3Aucun artisan, boutiquiers, ouvriers ou agriculteurs ne se manifeste en thermidor an II pour dénoncer des exactions commises à ce moment-là.

4Des officiers municipaux notamment Degrusse et Marey-Ichard enlèvent du café et du sucre. Témoignage n°34 et n°42 du cahier de dénonciation 5 de thermidor an II. A.D. Ain 15L 131. Voir Grimaud in BOURDIN (Philippe) : le noir, le rouge, 2000.

5Discours de Javogues. Collection de l'auteur.

6 Discours de Javogues. Collection de l'auteur.

7 Il s’agit de la place d'armes devant l'Hôtel de ville où fut brûlée l'effigie de Marat, le 30 juin 1793.

8Discours de Javogues. Collection de l'auteur.

9Tableau analytique et cahier de dénonciation n°5, A.D. Ain 15L 131.

10 "Baron prit dans l'arrêté de Javogues le surnom de Chalier, et Rollet qui. . .avait. . .avili Marat. . .adopta son nom ". Tableau analytique. . .A.D. Ain 15L 131. Ce changement de nom montre bien la coupure d'avec le passé (la crise fédéraliste) et la naissance du nouveau citoyen chez qui l'adoration des martyrs républicains devient un culte.

 

11 Lettre de Gauthier des Orcières à Blanc-Désisles, 21 frimaire an II.A.D. Ain 13L 60.

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