septembre 1793 : la mise en place de l'administration sans-culotte

HIC REGNABITUR SANS-CULOTTES

 

L'action des militants révolutionnaires se qualifiant de sans-culottes, hommes nouveaux issus de la politisation du peuple depuis 1790 et arrivant à maturité1 avec la réaction fédéraliste, est la réponse à la modération et à la faiblesse révolutionnaire d'une partie de la classe dirigeante issue de la bourgeoisie judiciaire de 1789 qui rejoint les nobles et les prêtres soupçonnés de contre-révolution au quotidien. Cette apparition de sans-culottes est alors importante : tous les départements n'ont pas eu de sans-culottes, et l'Ain s'affirme pourtant comme un département de sans-culottes, un espace laboratoire dans lequel peut s'exprimer une démocratisation de la politique jusqu'à l'outrance. Dès lors l'Ain, Bourg en particulier et Belley en moindre mesure, se rapprochent idéologiquement de Paris, définissant ainsi un nouvel axe politique.

L'action politique qu'envisagent les sans-culottes structurés au sein des sociétés populaires puis des comités de surveillance, est une révolution sociale qui va à l'encontre des souhaits jusque là émis par la classe dirigeante compromise dans la crise fédéraliste. Dans quelles circonstances et avec quels moyens les sans-culottes vont-ils exercer à leur tour le pouvoir sur le département et comment vont-ils gérer l'opposition politique républicaine que leur politique révolutionnaire peut générer ? Le règne des sans-culottes dans l'Ain, plus que tout autre moment de la Révolution, marque l'apogée de la politisation populaire, mais est-il le symbole d'un renouveau de la pensée politique des révolutionnaires de l'Ain ?

 

La mise en place de l’administration sans-culotte,

Septembre-octobre 1793

 

C'est en septembre que Convers et Blanc-Désisles reviennent de Paris et annoncent "que tous les citoyens doivent trembler et qu'il se prépare contre la commune un événement terrible"2. Dans tous les départements, où les leaders politiques se sont réfugiés à Paris, leur retour est le signe de la répression anti-fédéraliste. Les sans-culottes veulent se venger de leur éviction de la municipalité par les fédéralistes et souhaitent purger le département des aristocrates3. "Quand donc indiquerez vous le jour du rassemblement à Bourg par députés de tous nos frères sans-culottes ? De l'exécution du plan que nous vous avons présenté, dépend peut être le salut de ce département ?" écrit Jules Juvanon à Blanc-Désisles4. Ce dernier, en compagnie de Convers, imprime la Terreur à ceux qui les avaient chassés de la municipalité5. Dans les deux camps s’engage une lutte politique sans merci qui doit aboutir à l'extermination de l’autre. Blanc-Désisles devient un des orateurs les plus écoutés de la société des sans-culottes. Ses discours ne trouvent pas seulement écho dans l’Ain mais dans toute la France6. Cette société populaire et son comité de surveillance, formé en Comité Central de Surveillance du département de l'Ain, le 5 brumaire an II, sont les moyens par lesquels les sans-culottes vont exercer leur vengeance et imposer leur politique au département.

 

Le 22 septembre, le comité révolutionnaire de la société populaire de Bourg reçoit une lettre des représentants Bassal et Bernard qui désirent obtenir des renseignements sur les bons patriotes et les suspects. Au moment où le comité députe huit de ses membres dans les différents districts pour prendre ces renseignements, des placards incendiaires appelant à l'insurrection contre les sans-culottes sont affichés sur les murs de Bourg7. La diffusion de ces tracts effraye les sans-culottes qui suspendent toutes leurs activités. Dans cet état d'urgence qui arrange les affaires des sans-culottes, la mission de ses commissaires est suspendue et Merle, seul, se rend à Besançon auprès des représentants du peuple, avec une liste de fonctionnaires à destituer. Merle revient à Bourg le 4 octobre, avec un arrêté des représentants ordonnant la réorganisation de l'administration du département. La main mise des sans-culottes sur les administrations burgiennes est désormais effective grâce à leur société populaire, à son comité révolutionnaire et aux représentants en mission. Les hommes de 1789 ont presque entièrement disparu des nouvelles structures politiques et administratives du département ; sur neuf sociétés populaires et comités de surveillance de l'Ain épurés en l'an II, seulement 11% des membres ont été des signataires des cahiers de doléances de 17898.

Après les épurations officielles des administrations, les sans-culottes de Bourg entreprennent de réorganiser les clubs du département sur le modèle de la société de Bourg. Le 3 octobre, la société de Trévoux devient société des sans-culottes puis elle-même réorganise les sociétés de son district (les sociétés de Beauregard, Thoissey, St Trivier). A Pont-de-Veyle, la société des sans-culottes amis de la Constitution Républicaine, créée le 3 octobre, “considérant...l’état de crise et de danger imminent ou se trouve la Patrie9, s’empresse d’annoncer, le 13 octobre, à la Convention qu’elle accepte la Constitution “qui fera à jamais le bonheur des patriotes et le désespoir de l’aristocratie10. Le 15 brumaire an II, le club de Bourg députe les citoyens Rollet et Ravet à Montrevel pour réorganiser la société et le comité de surveillance. Le 20 brumaire an II, la société de Châtillon-sur-Chalaronne se mue en société des sans-culottes. A Belley, par contre, les deux sociétés cohabitent mal et se font concurrence. Dans tout le département, les sociétés populaires patriotes deviennent sociétés des sans-culottes et s'imiscient dans les affaires locales. Le 20 octobre, la société des sans-culottes de Bâgé prend un arrêté pour que la municipalité de Replonges fasse planter un arbre de la Liberté et demande à la municipalité de Bâgé de faire démolir la girouette de l’arquebuse ainsi que le faisceau d’armes de chevalerie. Elle invite aussi à la municipalité de Dommartin à faire disparaître les signes de l’Ancien Régime.

 

Avec Bourg pour modèle, les sans-culottes du département reportent dans leur commune les actions politiques et policières réussies à Bourg. Le 23 septembre, le comité de surveillance de la société populaire de St Rambert prononce à son tour des destitutions. A Belley, la municipalité convoque les citoyens pour le 29 septembre afin de former un Comité de Salut Public. A Bâgé-le-Châtel, le 29 octobre, la société des sans-culottes interdit à la municipalité de délivrer des certificats de civisme s’ils ne sont pas signés de quatre membres du comité de surveillance de la société populaire.

Le 1er octobre, Rollet est envoyé vers Bassal et Bernard porter une liste de suspects à incarcérer ou à destituer et le lendemain, ces suspects sont mis en état d'arrestation. Trois jours plus tard, le 5 octobre, près de cent citoyens déclarés suspects sont désarmés à Bourg. Dans les Dombes aussi, l'attitude de l'administration du district de Trévoux durant la crise fédéraliste anime vigoureusement les débats de la société populaire de la ville durant l’automne 1793. Le 22 brumaire an II, alors que Gouvion défend le district d’avoir voulu se fédéraliser à la société des sans-culottes de Trévoux, la société des sans-culottes de Trévoux nomme huit commissaires pour se rendre à Lyon afin d ”examiner tous les citoyens déjà dénoncés, pour y ajouter tous les motifs de suspicion11. De retour le 23, les huit commissaires annoncent qu’ils n’ont rien trouvé. Les trévoltiens se montrent alors des adversaires implacables des fédéralistes lyonnais en fuite, cherchant sans doute dans cette attitude et une correspondance active avec Merlino à faire aussi oublier l’écart fédéraliste du district : "Au Citoyen Merlinot député à la Convention. Nous vous avons déjà fait part par une précédente lettre… de la façon de penser des administrateurs et des administrés sur l’expédition de la ville de Lyon, aujourd’huy Ville Affranchie, cette façon de penser est toujours la même, et les ennemis qui se sont passés nous ont plainement convaincu que Lyon la rebelle devoit être le noyau d’une nouvelle Vendée…Vous ne devés pas douter citoyen compatriote du plaisir que nous avons eu ainsy que tous nos concitoyens de voir échouer de pareils projets il est facile de vous faire une idée des maux que nous aurions souffert, si les projets liberticides de ces infâmes rebeles eussent eut quelque réussite, et vous devés être bien convaincu qu’aucun de nos concitoiens n’étoient portés à leur faire grace, aussi se sont-ils portés avec tout le zèle, et l'activité possible à la deffense de notre territoire dans le moment de la sortie de Lyon. Nous devons même ajouter que la surveillance des Gardes nationales a favorisé la poursuite de l’armée république, en interceptant aux rebelles le passage de la rivière dans différens ports du district. L’un des détachements du district s’est porté jusqu’à Anse et a fait arrêter les fuyards"12. Selon le rédacteur anonyme de la Relation du siège de Lyon13 , les rebelles fait prisonniers auraient été traité avec une grande cruauté ; le vicaire constitutionnel de Trévoux, Tollet, se serait distingué par sa férocité. Les hussards de Berchiny, les cavaliers du Royal Pologne, les volontaires de la légion des Alpes attaquent les groupes de fuyards, au son du tocsin. L'adjudant général Arnaud a été arrêté à Neuville par le vicaire de Trévoux. Dès le 10 octobre, la correspondance relative aux fuyards lyonnais abonde. les Administrateurs du district envoient aux Représentants leurs félicitations mais ils craignent d'être exposés aux incursions des rebelles. Aussi ont-ils donné l'éveil aux municipalités, mis en mouvement les gardes nationales, suppléé de leur mieux au manque d'armes et de munitions.

A Bourg, Alban est nommé, le 2 octobre, commissaire du département pour arrêter les fédéralistes Barquet, Populus et Morel en fuite. Dès lors commence une chasse à travers le Revermont et le Bugey qui dure jusqu'au 5 octobre, date de l'arrestation de Populus à Bellignat.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

1 Dans le Vaucluse et dans les Bouches-du-Rhône on assiste à une assension politique similaire : "les registres des comités de surveillance démontrent l'accession aux responsabilités politiques en l'an II d'une catégorie sociale jusque là écartée du pouvoir". Etat des recherches de Martine Lapied sur les comités de surveillance dans le Sud Est de la France, tiré de son mémoire d'habilitation, 1997.

2 Tableau analytique. . . A.D. Ain 15L 131.

3Pour les sans-culottes se terme regroupe tout ceux qui ne sont pas "politiquement correct ", qui peuvent être à même de former un obstacle à la politique qu'ils désirent promouvoir. "Frappons sur l'homme instruit, ses écarts sont des crimes ”. Circulaire du Comité Central de Surveillance du département de l'Ain, aux comités du département, du 9 brumaire an II, signée Blanc-Désisles et Juvanon. Cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . .. Tome 4 page 41-42. Le sans-culotte devient la norme du nouvel homme que la Révolution doit engendrer.

4 Lettre de Jules Juvanon à Blanc-Désisles, 1er octobre 1793.A.D. Ain 13L 60.

5 "Leurs regards farouches menacent tout ceux qui peuvent les pénétrer. . .ils annoncent que les citoyens doivent trembler et qu'il se prépare contre la commune une vengeance terrible dont ils seraient les régulateurs " in Tableau analytique. . . A.D. Ain 15L 131.

6Un discours de Blanc-Désisles, a été imprimé et distribué par la société populaire d’Aix-en-Provence.

7 "Avis, citoyens dans peu un grand massacre. Assemblez la Commune. "Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg. A.D. Ain 13L.

8 11,11% à Ambérieu en Bugey, 10,34% à Ceyzérieu, 4,54% à Chalamont, 12,72% à Lent, 9,30% à Meximieux, 13,72% à Montrevel, 13,15% à Pérouges, 1% à Pont-de-Veyle et 22,72% à St Julien sur Reyssouze.

9 Lettre des sans-culottes de Pont-de-Veyle, 3 octobre 1793. A.C. Pont-de-Veyle, C.89.

10 Pétition des sans-culottes de Pont-de-Veyle, 18 octobre 1793. A.C. Pont-de-Veyle, C.89.

11 VALENTIN SMITH : Bibliothéca Dombésis.

12 A.D. Ain 11L 12, Registre de correspondance du district de Trévoux.

 

13 Il s'agit en fait de Paul Emilien Beraud, né à Lyon en 1751 et mort en 1836. Sans doute fédéraliste, son livre, défavorable aux troupes de la Convention, est publié à Londres en 1794.

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