1793 : la plainte des patriotes

Les plaintes des patriotes et la mission de Blanc-Désisles à Paris

 

Le 9 juillet, quelques-uns des exclus de la municipalité de Bourg protestent en vain contre l'illégalité du vote. De son côté, Blanc-Désisles, menacé par la bourgeoisie bressane modérée qui le désigne comme le chef des maratistes, fuit Bourg à pied puis, en passant par Mâcon [1], prend une voiture afin de porter cette affaire à la barre de la Convention et des Jacobins. Ce geste de fuite vers le pouvoir central parisien n'est pas annodin et isolé, le marseillais François Isoard, qui est un des principaux dirigeant de la société populaire de Marseille, se réfugie "à Paris pendant la révolte fédéraliste, il y fonde la société des patriotes du Midi réfugiés à Paris"[2]. De même, les bressans sont précédés, en juin, par des députés de la société populaire de Lons, René-François Dumas et Pierre-Louis Ragmey pour dénoncer les administrateurs du département de Jura, engagés dans le mouvement fédéraliste.

A Paris, l'ancien comédien compte trouver auprès de Merlino et Jagot un soutien afin de casser le vote du 7 juillet. Arrivé à Paris, Blanc-Désisles loge à l'hôtel de Suffren, rue de Richelieu, et reste en correspondance avec ses collègues de Bourg, faisant ainsi circuler les idées révolutionnaires parisiennes. Il est rejoint, le 24 juillet, par Convers. Dans la capitale, Blanc-Désisles retrouve ses amis comédiens que la Révolution a propulsés et notamment son ami [3] Grammont, ex-comédien, lui-même très lié avec Vincent[4], Ronsin, la Commune et les Cordeliers. Grammont ouvre les portes de la Commune[5] à Blanc-Désisles. Lors de cet exil parisien, le patriote bressan adopte les idéaux des Cordeliers et s'émerveille de l'action des sections parisiennes. Ils sont conduits à la barre de la Convention par Amar, où ils présentent la situation dans l'Ain. Ils sont invités à siéger aux côtés de Jagot sur les bancs des députés à la Convention. Après avoir été entendue, la requête des burgiens est renvoyée devant le Comité de Sûreté Générale[6]. [7]. Pendant ce temps, Rollet se rend dans les départements voisins annoncer que Bourg est en rébellion et que ce sera "bientôt le noyau d'une nouvelle Vendée " [8].

            A Paris, Blanc-Désisles et Convers rencontrent les fédérés de l'Ain venu approuver la Constitution. Parmi eux figurent plusieurs fédéralistes dont Debost, avec qui les rencontres sont orageuses. Le 3 août, Debost croise Désisles et Convers et s'en prend violemment à eux comme responsables présumés des persécutions dont il est victime. Lors du repas anniversaire du 10 août donné le dimanche suivant au palais d'Orléans, où ils se trouvent en compagnie de Merlino et Deydier, Blanc-Désisles "se dispute avec Debost, fédéré du 10 août "[9] envoyé par la nouvelle municipalité de Bourg. "Fevelaz et d'autres convives leur firent quelques plaisanteries pour faire cesser cette discussion chaude" [10]. Merlino, jusque là silencieux, prenant le parti de Blanc-Désisles, se lève et s'adresse à Debost : "puisque tu as du caractère, et que tu es patriote. . .livre-nous en six de ta commune et sois tranquille "[11]. Furieux, Debost se retourne "avec indignation contre Désisles et Convers et. . .répondis à Merlino : adresse toi à ces messieurs pour faire de semblables commissions ; elles sont dignes d'eux et indignes de moi"[12]. Les deux hommes en viennent à prendre des couteaux et menacent de se frapper alors que volent les accusations de part et d’autre de fédéralisme. Le lendemain, au Palais-Royal, Blanc-Désisles et Convers, "au milieu d'une foule de gens. . .disaient que le département de l'Ain était infecté de fédéralistes, de contre-révolutionnaires, de muscadins, de coalisés avec Lyon et le Jura voulaient marcher sur Paris, que sans eux le royalisme y serait proclamé , qu'eux seuls avaient préservé leur pays de la guerre civile, et qu'on leur avait des obligations infinies" [13]. Debost trouve appui auprès de Deydier, tandis que Blanc-Désisles en trouve auprès de Merlino. La fraction politique interne au département trouve son écho au sein de la députation de l'Ain.

Lors de son exil parisien, Blanc-Désisles rend visite à frère Mathieu avec qui il dîne régulièrement. Ce dernier, militaire, est plutôt accueillant et après avoir bu un café avec Debost, lors du funeste repas au palais d'Orléans, il lui propose néanmoins de déjeuner avec lui le lendemain.

Blanc-Désisles et Convers, illuminés par la vie révolutionnaire de la capitale, assistent à des exécutions [14] et au triomphe des sans-culottes parisiens. Blanc-Désisles radicalise sa pensée politique en prenant modèle sur la Commune : "à Paris les officiers municipaux ne se laissent manquer de rien, qu'au moyen de réquisition, ils se faisaient donner tout ce qui était bon"[15] dit-il à Régnier. Dès lors, Blanc-Désisles prend le parti de s’appuyer désormais sur le peuple tout en encourageant les mesures exceptionnelles : "Désisles approuvait toutes les mesures de rigueur et ne craignait pas de dire que le sang était nécessaire pour consolider la Liberté et la Révolution"[16].

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1] “ je partis à pied...Merle m’accompagna plus d’une demi lieue...les jambes me manquèrent à une lieue de Mäcon, j’y arrivai enfin, je parus à la tribune de la société, j’y dénoncai nos administrateurs rebelles ”. La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur

[2] GUILHAUMOU (Jacques) : "le congrès républicain des sociétés populaires des départements méridionaux de Marseille (octobre-novembre 1793) : programme et mots d'ordre" in Actes du 111e congrès national des sociétés savantes Poitiers 1986. C.T.H.S., Paris, 1986.

[3]Déclaration de Convers du 1er vendémiaire an III. A.D. Ain 15L 131.

[4]COBB (Richard) :  l'Armée Révolutionnaire Parisienne à Lyon et dans la Région Lyonnaise. frimaire-Prairial an II. Albums du Crocodile, 1951-1952.

[5]Les auteurs de ce tableau analytique parlent, lors de la visite de Blanc-Désisles et Convers à Paris, des rencontres qu'ont pu faire les deux burgiens avec ces "maîtres dont ils reçurent des leçons. . . (ces) ennemis du peuple. . . avec qui ils devaient concerter leur vengeance". Tableau analytique…, A.D. Ain 15L 131.

[6]DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . ., tome 3 page 313

[7] DEBOST (Louis-Marie) : Une agonie de soixante-quinze jours. Perrin, Paris, 1932, page23.

[8]Tableau analytique…, page 5. A.D. Ain 15L 131.

[9]Réponse du citoyen Favélas. Collection de l'auteur.

[10] DEBOST (Louis-Marie) : Une agonie de soixante-quinze jours. Perrin, Paris, 1932, page32.

[11] DEBOST (Louis-Marie) : Une agonie de soixante-quinze jours. Perrin, Paris, 1932, page32.

[12] DEBOST (Louis-Marie) : Une agonie de soixante-quinze jours. Perrin, Paris, 1932, page32.

[13] DEBOST (Louis-Marie) : Une agonie de soixante-quinze jours. Perrin, Paris, 1932, page31.

[14] "Désisles dit à Convers à Paris, sur la répugnance qu'avait ce dernier à voir guillotiner, qu'il fallait que tout républicains s'accoutume à voir, de sang froid, verser le sang des aristocrates". Déclaration de Convers. A.D. Ain 15L 131.

[15]Témoignage de Benoît Régnier. A.D. Ain 15L 131.

[16] Déclaration de Convers. A.D. Ain 15L 131.

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