juin 1793 : le coup d'état des sections

Le coup d'état des sections de Bourg

 

Le 29 juin, les administrations de Bourg apprennent, par leur correspondance néanmoins maintenue avec Lyon, que les citoyens Pécolet, président du district de Lyon-campagne, et Matheron, administrateur du district de Lyon-ville, arrêtés par Dubois-Crancé, vont transiter par Nantua pour être conduits à Paris. Le Conseil Général de département de l'Ain prévient le district de Nantua de leur passage et l'invite à le dérouter sur Bourg afin de libérer les deux détenus Lyonnais. Mais, au lieu de stopper Pécolet et Matheron la municipalité de Collonges arrête et fait transférer à Bourg le citoyen Baptiste Gonard[1] commissaire du pouvoir exécutif auprès des représentants à l'Armée des Alpes.

Au même moment, parvient à Bourg une lettre très utile pour les fédéralistes, "venant d'un contre-révolutionnaire de Lyon"[2], dans laquelle Blanc-Désisles est dénoncé comme un complice de Chalier. Désormais, la culpabilité de l'ancien acteur étant établie, il ne reste plus aux fédéralistes burgiens qu'à agir contre lui pour le mettre hors d'état de nuire à leurs intérêts. L'occasion leur en est donnée lorsque, malgré une entrée triomphale à Lons-le-Saunier[3], le détachement de la garde nationale est de retour à Bourg le 30, accompagné de deux administrateurs et de quarante cavaliers jurassiens dit plumets rouges. L'entrée de la colonne en ville est vivement saluée par la foule, les plumets rouges brandissant au bout d'une pique une tête à l'effigie de Marat. Rapidement sur place d'Armes, le feu y est bouté "au milieu des chants et des danses"[4] de la population. Les officiers municipaux jacobins adoptent une attitude complaisante voire démagogique face cette manifestation, d’autant plus facilement que “la municipalité était là, soumise aux ordres ”[5] des sections. Si pour les thermidoriens, "Blanc-Désisles porte deux fois la parole, l'une au faubourg du Jura, l'autre au balcon de la commune et ses compliments finissent chaque fois par la chanson à la guillotine Marat"[6], pour l’ancien comédien, ce fait doit être imputé à Barquet “perfide imposteur, qui fit un discours infâme au faubourg du Jura et sur la place [7]. Le parti "pro-conventionnel", que constitue la municipalité de Bourg, est soumis à l'inactivité par la présence des sections réunies, du Conseil Général du département siégeant en permanence et aux Plumets Rouges qui auraient tôt fait de réprimer à coups de sabre une éventuelle opposition. Les municipaux, devant l'adhésion de la population aux vues fédéralistes du département, seraient bien malvenus de clamer leur opposition. Une fête se met en place et "quarante huit heures se passent dans le vin et la débauche . .  un repas est préparé, le vin et les liqueurs y abondent"[8]. Les suspects emprisonnés sur ordre d'Amar et Merlino sont libérés ; puis l'attention de la foule, sous l'influence de meneurs et du vin, et de la lecture par l'architecte Carabasse d’une lettre de son beau-père Reux, de Lyon, accusant à nouveau Blanc-Désisles “d’être en correspondance avec Chalier et d’avoir dit que les Lyonnais finiraient par la danser [9], se retourne contre ce dernier. Le bijoutier, malgré le port de son écharpe municipale[10], doit alors fuir et se réfugier chez le citoyen Merle, accusateur public au tribunal criminel. Les poursuivants chantent sous les fenêtres du magistrat,  "A la guillotine Désisles", en dansant la carmagnole[11]. A la fin de ce charivari macabre, la foule met "en discussion si son magasin serait pillé "[12].

 

            Forts de ces dénonciations soulignant la correspondance de certains officiers municipaux burgiens avec Chalier et le Club Central de Lyon, les fédéralistes décident de se débarrasser de cette opposition représentée par les membres jacobins de la municipalité. Le 1er juillet, les sections, réunies aux plumets rouges jurassiens décident d'épurer la municipalité[13].  Le lendemain, les sections réunies à la Salle des Spectacles, sous la présidence de l'ex-constituant Populus, votent à 251 voix contre 14 la réorganisation de la municipalité. Un discours, lu à Bourg, “au nom du Conseil Général de la commune, aux citoyens armés de la ville de Bourg, à leur retour de Lons-le-Saunier, où ils étaient allés défendre leurs frères du Jura contre les projets liberticides des commissaires Bassal et Garnier ”[14], imprimé et largement diffusé dans la commune, justifie aux yeux des indécis cette épuration. Durant cette journée, alors que la révolution Lyonnaise du 29 mai se répète à Bourg, le procureur-général-syndic de l’Ain adresse à son collègue de Rhône-et-Loire une lettre, en date du 27 juin, d’Albitte et de Dubois Crancé aux Jacobins de Paris, interceptée à Bourg, les invitant à déclarer Lyon en état de révolte. Le 3 juillet, de Mâcon, Méaulle annonce au Comité de Salut Public l’arrestation, à Collonges, du courrier envoyé par Dubois-Crancé et Albitte. Il décrit la situation alarmante de Lyon, qui intercepte les munitions destinées à l’armée du Midi. L'alarme est lancée et l'Ain est en bonne position pour subir d'une manière ou d'une autre les opérations de maintien de l'ordre.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1]DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution dans l'Ain, tome 3 page 291.

[2]Livre Rouge, registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg. A.D. Ain 13L.

[3]DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution dans l'Ain, tome 3 page 277

[4]Récit de Rollet dit Marat en réponse à une demande du district de Lons-le-Saunier, du 6 germinal an II, cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . ., page 278

[5] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur

[6]Tableau analytique des manœuvres et des crimes des principaux intrigants de la commune de Bourg chef lieu du département de l'Ain. Collection de l’auteur.

[7] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur

[8]Récit de Rollet-Marat en réponse à une demande du district de Lons-le-Saunier, 6 germinal an II, cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . ., page 278

[9] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur

[10] “ Mon écharpe était ma sauvegarde ”. La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur.

[11] Cité par LEDUC (Philibert) : Histoire de la Révolution dans l'Ain, tome 3 page 337, et DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . ., tome 3 page 278

[12] Livre Rouge, registre de la société populaire des sans-culottes de Bourg Régénéré, séance du 13 messidor an II, A.D. Ain 13L 9.

[13]DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . . , tome 3 page 312

[14] A.D. Ain 2L.

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