juin 1793 : la fraternité fédéraliste avec la Bourgogne et Lyon

La fraternité bourguignonne : de l’enjambée fédéraliste au refus de la dictature des représentants et de la révolte Lyonnaise

 

            La crise fédéraliste des pays de l'Ain est la première grande épreuve politique des républicains et des révolutionnaires du département. Elle révèle un rapprochement politique avec le nord et plus particulièrement la Bourgogne, stabilisant momentanément l'instabilité départementale entre le nord, le sud et la frontière, au détriment de l'union départementale mais au profit du rejet Lyonnais.

A Paris, le Comité de Salut Public, inquiet des divagations fédéralistes des départements de l'Ain, du Doubs, du Jura et de la Côte D’Or, rédige un rapport à la Convention demandant l'envoi de deux représentants afin de "ramener à leur devoir les autorités constitués qui auraient pu s'en écarter"[1]. Sur cette proposition, la Convention prend un décret, le 18 juin, nommant les députés Garnier et Bassal pour se rendre dans la région calmer la situation. Alors que les deux hommes quittent Paris pour se rendre à Besançon, une commission désignée par le Conseil Général du département de l’Ain, chargée d’examiner les mesures de salut public, présente le résultat de son travail le 19 juin. Elle demande une présence des municipalités et des districts auprès du département pour prendre “toutes les mesures de salut public tendante à maintenir la liberté, l’égalité, l’unité et l’indivisibilité de la République[2]. “C’était la marche même suivie à Lyon ”[3], à Grenoble le 8 et à Gap le 14. Afin de bien affirmer sa volonté, le département fait imprimer cette déclaration à 1 500 exemplaires in°4 et 600 placards. Comme cela était à prévoir, l’administration du département de l’Ain, par l’intermédiaire de Grumet, le 20, se montre hostile à une union avec Lyon. Ce refus n'empêche pas, le 21, deux commissaires Lyonnais, Bernat, de la municipalité, et un membre du département, d'arriver à Bourg afin de fraterniser, se renseigner sur l’esprit public et redemander la libre circulation des grains. Mais la fraternité prônée par les Lyonnais est à sens unique, si les commissaires Lyonnais arrivent avec des demandes aucune contrepartie n'est proposée au département de l'Ain.

Si Bourg semble ancrée dans un fédéralisme bourguignon, l'ensemble du département ne suit pas cette démarche. Belley, malgré une tension de plus en plus vive entre les membres des deux sociétés populaires et une partie des habitants, reste loyale à la Convention et le 23 juin, la société des sans-culottes dénonce à la Convention, par l’intermédiaire de Deydier, “les projets fédéralistes qui régnaient dans ses cantons[4]. A Montluel, l’administration du district doit envoyer, le 25 juin, à chaque commune de son arrondissement l’arrêté du département du 19 juin qui invite “tout les citoyens à se réunir en Assemblée générale de commune, le 29...pour prendre en considération l’état actuel de la République et nommer un député ”[5]. Il demande à chaque commune de son arrondissement de réunir, le 30, leurs députés au chef-lieu de canton “ pour y faire le choix d’un citoyen qui se rendra de suite près l’administration du département pour délibérer sur les mesures de salut public[6]. Le district joint à sa lettre une délégation de pouvoir en blanc à compléter par les citoyens de chaque commune. Le but des citoyens de Montluel n’est pas de se porter au secours de Lyon ou marcher contre Paris, mais plutôt “de prendre...toutes mesures de salut public que les circonstances feront juger convenables et qui auront pour objet de maintenir la liberté, l’égalité, l’unité et l’indivisibilité de la République, la sûreté des personnes et des biens[7]. Des élections de députés sont faites dans quelques communes[8] où l'on donne une interprétation différente et prudente à sa députation, à Poncin "l'assemblé donne pouvoir au député…de voter une adresse à la Convention tendante à ce que l'inculpation contre les députés détenus soit mis au jour…enfin que les assemblées primaires soient de suite convoquées pour discuter la Constitution et la sanctionner" [9]. Si l'esprit protectionniste local et de clocher prime : ni Lyon, ni Paris, il se fait jour un esprit de conciliation et d'union avec les autres départements ainsi que le désir de régler dans le calme la situation lyonnaise sans trop vouloir y interférer : "que la Convention…au lieu de suspendre les procédure contre les détenus à Lyon, elle en attribue la connaissance au tribunal de Villefranche ou à tout autre voisin"[10].

 

Arrivé à Besançon, Garnier tombe malade. C'est le conventionnel Bernard qui le remplace pour la suite de la mission. Les deux hommes se mettent en marche pour Lons-le-Saunier avec 2 700 hommes de troupe. Apprenant la venue des deux représentants, les administrateurs du Jura s'affolent et poussent encore plus loin le département de l'Ain dans la révolte fédéraliste, quand le 23 juin, ils lui demandent d'envoyer des renforts à Lons-le-Saunier afin les stopper [11]. Fortes de la déclaration du département du 19, les sections de Bourg approuvent la proposition du Jura et proposent l'envoi immédiat d'une partie de la garde nationale de la ville. Deux commissaires, Tardy et Vuy, sont nommés pour aller à Lyon demander, fraternellement, le soutien de la ville et de l’administration ; “bien entendu, celle-ci dut se dérober ; elle n’avait pas la plus petite armée à sa disposition. Porte Froc prit note de la lettre écrite par le département du Jura à celui de l’Ain sans l’accompagner d’un mot de commentaire. La Paix, après avoir entendu lecture, délibéra qu’elle prendrait un parti convenable quand elle serait mieux éclairée. Les gens de Bourg agirent seuls”[12]. Le 24 et le 26, après délibération des différentes administrations séantes à Bourg, dont une du Conseil Général de l’Ain qui appelle tous les membres des districts et du département à se rendre à leur poste et à y rester en permanence, 250 hommes de la garde nationale burgienne, accompagnés des officiers municipaux, Rollet, Bonet, Barquet et Bottier [13] se mettent en route. Le 25 juin, à St Amour, l'élan sacré du départ a disparu. Le contingent bressan se demande s'il est bon d'aller plus loin[14]. Prend-il conscience qu'une telle action entraînerait des représailles militaires immédiates et dures contre Bourg ? Est-ce là le fait d'une manœuvre des officiers municipaux ? Le 26, dans une lettre adressée au district de Bourg, le citoyen Billion fixe le but politique du département de l'Ain et des autres départements : "faire remplacer la Convention qui, déchirée par les divisions intestines, ne saurait faire le bonheur des français, si elle-même ne se fait pas remplacer bientôt "[15]. De son côté Blanc-Désisles ne reste pas inactif. Il engage le curé de Bourg à mettre son nom au bas d’une adresse écrite par lui afin “ de la faire afficher non seulement dans l’intérieur de la commune, mais encore dans l’intérieur des cafés, cabarets et lieux publics, espérant par là ramener les citoyens égarés ”[16]. Le 27, les fédéralistes Lyonnais, toujours très soucieux de leur intérêt, députent à Bourg un commissaire, Bémani, afin de conférer sur la sûreté et la tranquillité publique, mais surtout pour suspendre le maximum départemental qui gêne l’approvisionnement de Lyon. Afin de se montrer conciliant, les Lyonnais font pour la première fois un geste envers l'Ain en proposant en contre-partie l’aide de Lyon. Mais, sans doute vexée par l’attitude des Lyonnais du 24, et sans doute plus culturellement plus ancrée par les vieilles relations bourguignonnes qu’avec le Lyonnais dangereux[17], l’administration du département de l’Ain lui signifie “qu’il ne croyait n’en avoir pas besoin, car il était éloigné de toute idée de fédéralisme et ne s’était pas séparé du centre d’unité”[18] ; vague et charmante façon de démontrer le peu de confiance qu’à le département de l’Ain en Lyon. Si “les Lyonnais n’avaient rien à espérer d’un allié si incertain et si faible” [19], l’Ain n’a rien à espérer des actions rebelles Lyonnaises, si ce n’est l’arrivée à Bourg de Bassal et Bernard ainsi que de leurs 2700 hommes de troupes. L’Ain ne souhaite que prendre “des mesures de salut public contre l’oppression et l’anarchie”[20], c’est-à-dire régler le compte des officiers municipaux de Bourg comme Lyon le 29 mai.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

 



[1] Décrêt de la Convention du 18 juin 1793.A.D. Ain série L.

[2] Arrêté du Conseil Général de l’Ain concernant la mesure de salut public, 19 juin 1793. A.D. Ain 2L.

[3] RIFFATERRE (C.) : Le mouvement antijacobin et antiparisien à Lyon et dans le Rhône-et-Loire en 1793. Lyon, 1912, page 459.

[4] Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

[5] Lettre du directoire du district de Montluel, 25 juin 1793. Collection de l'auteur.

[6] Lettre du directoire du district de Montluel, 25 juin 1793. Collection de l'auteur.

[7] Lettre du directoire du district de Montluel, 25 juin 1793. Collection de l'auteur.

[8] C'est le cas à Poncin et au Grand Abergement le 29 juin où on se brone à élire un député pour le canton.

[9] A.C. Poncin, 29 juin 1793. D 1.

[10] A.C. Poncin, 29 juin 1793. D 1.

[11] Pour les patriotes de l’Ain et de Trévoux en particulier, dès 1792, le Jura et ses villes sont désignées comme peu patriotes voir même anti-révolutionnaires : « Nous sommes arrivés à deux heures à Saint-Amour, la municipalité seule est patriote, il peut y avoir sur trois milles âmes six patriotes. Ils n’osent le dire tout haut, le surplus est ennemi juré du bien commun… Nous arrivons enfin à trois heures à Lons-le-Saunier…cette maudite ville, est chef-lieu du département du Jura, contenant plus de douze milles âmes et ne contenant pas 20 patriotes. Le fait est constant, ce méprisable département n’a député à l’assemblée législative que des faux frères à l’exception d’un seul dont j’ai perdu le nom ». Lettre du colonel Mabiez de Rouville à la municipalité de Trévoux. AC Trévoux.

[12] RIFFATERRE (C.) : Le mouvement antijacobin et antiparisien à Lyon et dans le Rhône-et-Loire en 1793. Lyon, 1912, page 459.

[13] Délibération de la Municipalité de Bourg du 26 juin 1793. A.C.Bourg D.3.

[14]DUBOIS (Eugène) :  Histoire de la Révolution dans l'Ain, tome 3, page 270.

[15]Lettre du citoyen Billion au district de Nantua du 26 juin 1793, citée par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . ., tome 3 page 274.

[16] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur

[17] Depuis 1789, la ville de Lyon est montrée du doigt comme l’épicentre contre révolutionnaire du sud de la France. Bien que les fédéralistes de l’Ain n’approuvent pas les événements parisiens, encore préfèrent-ils, en républicains convaincus, se débrouiller avec le Jura que de s’allier à une ville réputée royaliste.

[18] RIFFATERRE (C.) : Le mouvement antijacobin et antiparisien à Lyon et dans le Rhône-et-Loire en 1793. Lyon, 1912, page 459.

[19] RIFFATERRE (C.) : Le mouvement antijacobin et antiparisien à Lyon et dans le Rhône-et-Loire en 1793. Lyon, 1912, page 459.

[20] WALLON : La révolution du 31 mai. Tome 2, Paris, 1886, page 500.

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