juin 1793 : le refus du centralisme parisien

La marche fédéraliste de l’Ain : refus de la dictature parisienne

 

            Face à la réaction de la Convention, le département du Jura fait marche arrière. Le 2 juin 1793, le Conseil Général du département de l'Ain reçoit deux députés du Jura qui lui suggèrent de rétracter sa décision du 27 mai. En contrepartie, ils proposent de "convenir d'une adresse dont les points capitaux (seront) puisés dans le républicanisme le plus pur. . . et de . . présenter cette adresse à la Convention nationale "[1]. Le Conseil Général de l'Ain accepte cette proposition tout en persistant néanmoins dans sa première idée, sans réaliser la portée d'une telle décision. Simultanément, le département de l'Isère invite celui de l'Ain à intervenir conjointement dans les affaires Lyonnaises, ce qu'elle fait, le 3 juin, lorsque, suite au silence de l'administration de Rhône-et-Loire à une lettre adressée par elle, ainsi qu'aux nouvelles alarmantes parvenant de Lyon, les citoyens Jean Philibert Antoine Tardy de la Carrière, vice-président, et Jourdan sont nommés commissaires "pour se rendre à Lyon, y offrir et interposer, au nom du département de l'Ain, leur médiation et leurs bons offices "[2]. Ils se rendent dans le Rhône-et-Loire ainsi qu'en Saône-et-Loire afin “de rétablir le calme et la bonne intelligence dans la ville de Lyon [3]. De son côté, le Conseil Général de l’Ain, “formé en comité particulier pour s’occuper des mesures relatives à la sûreté publique[4], reçoit, le 3 juin, du district de Nantua une copie d’une lettre adressée à Chalier, en provenance de Landau, interceptée à la poste de Lyon et envoyée à Nantua. Dans cette lettre, l’interlocuteur de Chalier lui annonce les défaites de l’armée française en Allemagne et lui demande de “dire au citoyen Guinet chirurgien et à son ami Délilia. . .de continuer à la bien servir (la contre-révolution) et que les princes les récompenseront bien[5]. Lorsque le Conseil Général du Rhône prend connaissance de cette lettre calomnieuse, il décrète l’arrestation et l’extradition des deux patriotes catholards [6]. Pour ce faire, il députe deux commissaires à Nantua qui arrêtent les deux hommes. Mais, à l’instigation de la société populaire et au vu de leurs papiers, Guinet et Délilia sont remis en liberté. Le Conseil Général de l'Ain, intrigué par cette affaire et solidaire de Lyon comme victime de la politique des représentants en mission et d'une municipalité jacobine, diligente, le 5 juin, une enquête sur les deux catholards, qui sont lavés de tout soupçon le 17 juin.

            Le 5 juin, à Bourg, Lescuyer lit à la société populaire Le journal de Lyon, Moniteur du département de Rhône-et-Loire, du 4, contenant la relation des événements survenus dans la cité rhodanienne depuis le 31 mai [7]. Suite à la lecture, trois commissaires sont chargés par la société de "porter aux citoyens de Lyon et aux différentes autorités constituées. . . les regrets de la société sur des événements qui ont fait tant de victimes, et leur exprimer tous les sentiments qu'inspire l'amour de la patrie et de ses défenseurs"[8]; la société de Bourg entérine le coup d'Etat des fédéralistes Lyonnais sans pour autant le légitimer.

            Les troubles parisiens sont connus dans le département depuis quelques jours par des correspondances particulières, le 4 juin, le citoyen Saunois, écrit à Tabarié, administrateur au district de Trévoux : "La citoyenne Biron…est à Paris, et je suis en pleine correspondance avec elle…vous n'ignorez point la fermentation qui règne depuis quelques temps dans les sections de Paris" [9]. Le bulletin de la Convention du 2 juin arrive à Bourg le 6, où la nouvelle de la mise en accusation des députés Girondins est ressentie comme "un grand attentat qui a été commis à Paris le 2 juin"[10]. Immédiatement, le Conseil Général du département invite les districts et les cantons à lui envoyer des députés, car "l'administration ne saurait trop s'environner de lumières . . . pour y délibérer conjointement"[11], le temps qu'il le juge nécessaire. Afin de hâter la nomination de ces députés, le Conseil Général leur joint une copie d'une lettre de Paris, du 2 juin, adressée à un des administrateurs. Puis, afin de certifier leur démarche, le Conseil Général commissionne Ruffin-Morand auprès du département de Saône-et-Loire “pour y recueillir des renseignements sur les événements des 31 mai, 1er et 2 du présent mois[12]. Le même jour, réuni aux corps administratifs et judiciaires du district de Bourg en séance publique, le Conseil Général réclame à la Convention la réintégration des 22 députés mis en état d'arrestation[13], puis députe trois de ses membres à Paris pour demander cette réintégration. L'harmonie des idées n'est pas générale, Blanc-Désisles et certains officiers municipaux de Bourg refusent de se réunir au département[14]. Mais sous à la pression, les municipaux se rendent à la séance publique. Isolé, l'ancien comédien “voit se développer tous les sentiments brissotins, et la haine pour la Montagne [15]. Alors que Lescuyer prend la parole et dit : “Paris blanchit le crime et salit la vertu. Je fais la motion d’arrêter les caisses et les vivres aux armées, et de marcher sur cette ville infâme[16], Blanc-Désisles, sous les huées, invite l’Assemblée à s’en tenir à la version des faits du Journal de Paris et à agir avec plus de circonspection : “les ci devants nobles opinaient même dans cette séance, et l’un d’eux me porta la parole contre Amar et Merlino. Je dis alors ; ah ! citoyens, puisque les nobles opinent parmi vous, il n’y a plus rien à dire. Je provoquais vivement la municipalité de se retirer, je dis que s’il y avait des adresses à faire, nous saurions nous en acquitter nous-mêmes. Personne ne bougea...les huées redoublaient...la liberté...me suggéra dans ce moment, l’idée d’atténuer leurs mesures, ne pouvant les arrêter entièrement. Je priais, je suppliais de ne pas tant se précipiter...d’attendre encore un courrier[17].

Le 7 juin[18], le Conseil Général du Jura fait une proclamation sur les événements parisiens qu'il envoie à Bourg avec l’extrait de sa délibération prise avec les autorités constituées de son arrondissement. Le Jura, par cet arrêté, entraîne l’Ain dans la crise fédéraliste en lui insufflant le vent de la révolte anti-montagnarde. Il se montre comme l’épicentre de la réaction anti-parisienne dans la région : demande d'établissement d’une correspondance entre les départements, établissement d’armées départementales, refus d’obéir aux lois prises après le 31 mai, permanence des Gardes Nationales et des administrations. A Lyon, les députés de la société populaire de Bourg sont reçus par la municipalité provisoire à qui ils donnent l’assurance “que la demi victoire remportée à Paris par les anarchistes deviendrait leur tombeau”[19]. Le samedi 8 juin, le département de l'Ain, après avoir lu les mesures et déclarations du Jura, déclare y adhérer. Alors que Jourdan et Tardy reviennent à Bourg, la municipalité nomme Blanc-Désisles, Reydellet et Rousselet commissaires pour apaiser les esprits. Les trois hommes rédigent une proclamation qui n'est pas un appel au fédéralisme, bien au contraire. Elle appelle plutôt à un stoïcisme républicain entre esprit de sauvegarde et volonté d'union[20]. Cette déclaration des officiers municipaux bressans les plus engagés semble traduire leur crainte d'être traités comme leurs homologues de la commune Lyonnaise de Chalier pour leur participation plus que volontaire aux arrestations décrétées par Amar et Merlino le 21 mars 1793. Si la situation semble s'apaiser à Bourg, à Belley, le Directoire du District et le procureur-syndic du district de St Rambert s'insurgent, le 10, contre l'arrestation des Girondins. Le 14 juin, la municipalité provisoire de Lyon reçoit le texte de la pétition de la société de Bourg demandant le report du décret du 2 mais “en prend acte, sans marquer son approbation comme elle l’avait fait jusqu’alors en pareil cas”[21]. Comme, entre les administrations bressanes, l'harmonie entre les fédéralistes n'est plus. Les Lyonnais peuvent reprocher à l'Ain une réaction trop molle face aux événements. Le 16 juin, alors que la commune provisoire de Lyon députe deux commissaires dans l’Ain, le Doubs et la Saône et Loire, afin de faciliter la libre circulation des grains vers elle, le département de l'Ain approuve un arrêté du district de Montluel qui suspend provisoirement la livraison de blé pour Lyon. Arrivés néanmoins à Bourg, les deux commissaires Lyonnais délibèrent avec l’administration du département et les commissaires des districts. Dans le département, la situation inquiète les citoyens qui ne savent pas quelle attitude adopter à l'image du citoyen Danthon de Corcelles qui, soucieux de la situation en France, demande, le 16 juin, à Lepely de Nantua, avec qui il est en affaire, des informations les événements. Dans les petites communes du département, comme Cuisiat, si la décision de département du 27 mai est bien publiée le 16 juin, aucun commentaire n’en est fait, les officiers municipaux s’empressant de s’occuper de recevoir les demandes de secours des parents des défenseurs de la Patrie.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1]A.D. Ain ancien L270.

[2]DUBOIS (Eugène) : Histoire de la révolution. . ., tome 3 page 218.

[3] Note de frais de Tardy et Jourdan, 14 juin 1793. A.D. Ain 2L non classé.

[4] Arrêté du Conseil Général de l’Ain, 5 juin 1793. A.D. Ain 2L non classé.

[5] Arrêté du Conseil Général de l’Ain, 5 juin 1793. A.D. Ain 2L non classé.

[6] Nom des habitants de Nantua.

[7]DUBOIS (Eugène) : La Société populaire. . . , page 30.

[8]DUBOIS (Eugène) : Ibid.

[9] A.D. Ain 11L 44.

[10]Déclaration des autorités de Belley aux bugistes du 13 juin 1793, cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . . Tome 3, page 249.

[11] Extrait du procès verbal des séances publiques du directoire du département du 6 juin 1793, A.D. Ain ancien L269.

[12] Note de frais de Ruffin-Morand, 10 juin 1793. A.D. Ain 2L non classé.

[13]A.D. Ain ancien L269.

[14] Le 27 mai 1793, Joseph Payan combat la réunion des corps administratifs, civils, judiciaires et militaires proposée par un membre de l'administration du département de la Drôme.

[15] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur.

[16] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur.

[17] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur.

[18] Ce projet du Jura est soumis le 10 au Rhône-et-Loire et adopté le 12 par ce dernier, et prévoyait une correspondance et l’établissement d’une Assemblée à Bourges.

[19] WALLON : La révolution du 31 mai. Tome 2, Paris, 1886, page 498-499.

[20] "Ce n'est ni par des haines, ni par des calomnies, ni en adoptant des partis qu'on peut sauver la République "cité par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . ., tome 3 page 251

[21] RIFFATERRE (C.) : Le mouvement antijacobin et antiparisien à Lyon et dans le Rhône-et-Loire en 1793. Lyon, 1912, page 392.

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