avril 1793 : la rébellion départementale de l'Ain

La rébellion départementale contre les représentants en mission

Avril-mai 1793

 

             Alors qu'en France, les sociétés populaires s'intègrent progressivement à l'appareil d'état révolutionnaire, dans l'Ain, le printemps 1793 marque un tournant dans la politique locale. Au mois d'avril 1793, lors de la mise en accusation de Marat, le fossé entre les deux partis présents à Bourg se creuse irrémédiablement. Alors que la menace fédéraliste se profile chez les administrateurs qui proposent de faire une adresse à la Convention contre "l'Ami du peuple", Blanc-Désisles, en patriote prononcé, en empêche la rédaction, comme les frères Payan, dans le Midi, agissent de même en prenant la défense de la Convention. Ces tensions se ressentent à la société populaire où les séances sont moins nombreuses et les membres en partie épurés. Elle devient le siège des premières altercations entre patriotes : “les...nobles, aristocrates, prêtres, modérés...chassèrent du fauteuil le président de la société, pour avoir fait une observation en faveur d’Amar et Merlino, qu’on noircissait et calomniait à outrance ”[1]. Seul Blanc-Désisles et certains officiers municipaux s’insurgent contre les avancées fédéralistes de l’Ain en faisant des discours contre “le danger des considérations particulières ”[2]. A Belley, malgré une tentative de rapprochement entre la société des sans-culottes séante aux Ursules et celle sise à municipalité, la scission entre les patriotes belleysans est consommée le 18 mai, par le refus des modérés d'un scrutin épuratoire. A partir de cette date, le Conseil Général du département, dépassé par les événements qui touchent le pays, siège en permanence et décrète, en raison des "troubles qui désolent plusieurs départements" [3], l'établissement d'une armée départementale : ils se lancent dans la voie fédéraliste.

Malgré le rappel d'Amar et Merlino, l'administration du département n'arrête pas ses attaques contre les deux députés. Le 19 mai 1793, alors qu'une députation du département est reçue à la barre de la Convention pour y dénoncer la politique d'incarcération menée dans le département de l'Ain par Amar et Merlino, l'administration du département fait parvenir à la Convention une brochure imprimée : pétition et mémoire contre des arrestations arbitraires faites par ordres des citoyens Amar et Merlino, commissaires conventionnels envoyés dans le département de l’Ain. Là, les plus critiqués sont les membres de la municipalité de Bourg et ceux que les modérés appellent intrigants, factieux ou encore maratistes, ces "calomniateurs (qui) ont surpris (la) religion des représentants " [4], pour avoir délivré des mandats d'arrêt dès le 22 mars. Les commissaires du département se font l'écho de l'incompréhension de la population face à la politique initiée par les conventionnels et les arrestations[5] des personnes jusque-là intégrées à la vie sociale [6] ainsi que le décalage politique de l'Ain[7] avec la politique nationale ; les administrateurs du département ont-ils seulement bien lu les pouvoirs conférés aux représentants par les différents décrets ? De même, le rôle nouveau qu'est appelé à tenir l'administrateur ne semble pas être compris par les administrateurs du département, issus des chambres et des cours d'Ancien Régime sauf par ceux du parti jacobin qui assimilent très vite ce que l'appareil étatique attend d'eux.

            Le 27 mai 1793, les administrateurs du département de l'Ain rejoignent ceux de la Côte d’Or, du Doubs, du Jura et de la Haute-Saône[8] dans le projet de rassembler les députés suppléants à Bourges pour former une nouvelle Convention[9]. A Bourg, les maratistes sont insultés. Blanc-Désisles est menacé de mort. La nuit, des charivaris et des mascarades ont lieu sous ses fenêtres. Fin mai, l’administration du district de Montluel, alerté par l'insurrection Lyonnaise du 29 mai, se réunit à la municipalité pour délibérer et se forme en Comité de Salut Public. Après avoir reçu une lettre des représentants du peuple annonçant la révolte de Lyon contre les patriotes, le Comité de Salut Public de Montluel décide, le 29 mai, d’envoyer la Garde Nationale de la ville mais aussi celle de son district à Lyon pour se mettre à leurs ordres. Dès le lendemain, la Garde Nationale de Pérouges est à son tour mobilisée. Le 29 mai, la municipalité de Trévoux mobilise sa Garde Nationale. Sous prétexte de procession, elle convoque quatre compagnies qui devront se rendre à la Terrasse le lendemain à 9 heures du matin, pour assister en armes à la procession du corps de Dieu. La ville de Trévoux, avec cette manœuvre symbolique, se prépare à agir. Durant tout le mois de juin, les gardes nationales sont en effervescence, à Charix, le 30 juin, la municipalité distribue 15 piques à la garde.

Le 31 mai 1793, suite aux événements de Lyon, un nouveau pas vers le fédéralisme est franchi dans l'Ain. Le conseil désormais permanent du département donne l'ordre aux districts de tenir la garde nationale prête, au cas où des "malveillants forcés de quitter Lyon se répandraient dans l'intérieur de ce département et y sèmeraient la division "[10]. Si la référence à Chalier et ses amis ne fait aucun doute, l'administration du département ne soutient pas pour autant la révolte Lyonnaise. De son côté, le directoire du département de l'Ain, hostile à la politique des Jacobins dans les communes, s'insurge aussi contre le coup d'Etat des sections parisiennes à l'encontre des Girondins et la centralisation mise en place par la Convention.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur.

[2] La vie révolutionnaire de Blanc-Désisles depuis 1789, collection de l'auteur.

[3]Extrait du procès verbal des séances du conseil permanent du département de l'Ain, A.D.Ain ancien L269

[4]Moniteur universel n° 141 du 21 mai 1793.

[5] "Les citoyens du département de l'Ain respectaient la Convention. . . lorsque vos commissaires, Amar et Merlino, y sont arrivés "in le Moniteur universel n° 141 du 21 mai 1793.

[6] "2° que vous déterminiez d'une manière claire et précise ce qu'il faut entendre par gens suspects". in le Moniteur universel n° 141 du 21 mai 1793.

[7] "3° que vous soumettiez à une responsabilité les commissaires de la Convention qui abuseraient du pouvoir qui leur est délégué ". in le Moniteur universel n° 141 du 21 mai 1793.

[8]DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution. . . , tome 3 page 225.

[9]Arrêté du Conseil Général du département de l'Ain, portant qu'il sera député des commissaires près la Convention nationale, du 2 juin 1793. A.D. Ain ancien L269.

[10]A.D. Ain ancien L270.

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