2.6 La Création du département : Matérialisation de l'autonomie administrative locale
C'est le 25 janvier 1790, que le département de l'Ain est définitivement constitué. La création du département de l'Ain matérialise la volonté d'autonomie locale, finalisation de la lutte contre le parlement de Bourgogne mais début de l'opposition avec le Lyonnais. Bourg devient le chef-lieu évident d'un département conglomérat composé des pays de Bresse, Bugey, Gex et Dombes et ce malgré les oppositions et les nombreuses pétitions au Comité de Division[1]. On adjoint à ces provinces sept paroisses du Franc Lyonnais[2]. En échange, la Bresse céda au Lyonnais, Caluire et le Faubourg Saint Clair[3]. Des échanges similaires, entre la Bresse et la Franche-Comté, furent plus nombreux. L'Ain reçoit la partie comtoise de Coligny, Chavannes-sur-Suran, Germagnat, Pouillat et Salavre. En échange, il donne au département du Jura treize anciennes communautés[4]. Enfin, deux communautés furent rattachées au département de la Saône-et-Loire : Tagiset et la Chapelle-Thècle, annexe de la paroisse de Saint-Sauveur. A l’intérieur du département de l'Ain, il y a un échange de territoire entre la Bresse et la Dombes, permettant la réunion des deux parties de la petite Souveraineté auparavant séparées par le couloir de Villars.
Avec la création des communes, toutes les communautés et paroisses s'érigent comme tel. Quelques anciennes paroisses ou communautés trop petites deviennent dès 1790 hameaux des communes nouvellement créées, par contre, une trentaine de hameaux connaissent une existence éphémère. Si la création des municipalités se fait dans une atmosphère unanime de ferveur patriotique, le découpage du département en districts soulève de la part de l’intelligentsia départementale, bon nombre de débats. Le 21 septembre 1790, le directoire du département de l’Ain propose une nouvelle division du département en cinq districts, tandis que le 6 novembre, Thomas Riboud propose que l’Assemblée divise le département de l’Ain en quatre districts dont les chefs-lieux seraient Bourg, Belley, Nantua et Trévoux. Cette opinion est aussi largement acceptée par le curé de Treffort, Claude Marie Groscassand Dorimond, qui dans des Observations, s’y montre très favorable, “parce qu’il y aura plus de sujets éligibles pour l’administration & la justice ; parce qu’il en coûtera moins pour l’une & pour l’autre ”[5]. Pour les habitants de l'Ain, la problématique du découpage est tout autre. Lorsque le 3 octobre 1790, la municipalité du Grand Abergement apprend que l'Assemblé envisage la réduction du nombre de district, « demandé par économie », il apprend aussi que ces "messieurs de Gex faisaient leur effort pour obtenir le siège de l'administration et la justice chez eux au préjudice de la ville de Nantua…il était du devoir de la commune de manifester son vœu..que se canton souffrirait beaucoup si les dits sièges étaient placés à Gex à cause de l'éloignement et de l'abondance de neige…que d'ailleurs Gex étant près de Genève et Suisse, il arrivait fréquemment que divers particuliers seraient tentés de tirer de se divers pays la marchandise dont ils pourraient avoir besoin, ce qui serait une source de corruption pour les habitants des campagnes si facile à séduire"[6]. Si la création du département en neuf districts unifie finalement les pays de l'Ain autour du centre politique et routier du département, Bourg, elle ne règle pas un problème géographique de grande envergure : à quel ensemble géographique de grande importance peut se rattacher l'Ain ? au Dauphiné, dont il est le département le plus au nord, à la Bourgogne, à laquelle il a été rattaché en 1601, ou la Franche-Comté ? Qu'elle peut-être sa place vis-à-vis de la proche cité Lyonnaise, dont il n'est coupé que par le Rhône ? Et qu’elle attitude tenir envers les voisins suisses dont on ne comprend par le système géopolitique mais à qui l’on reproche rapidement l’esprit industrieux ? La création du département ne répond pas à ses questions le laissant désorienté à l'échelle régionale.
Dès les élections de 1790, les municipalités sont plus patriotes, car plus populaires [7], que les administrations des districts[8] ou du département, bien qu'elles soient aux mains de l'élite bourgeoise éclairée. Avec les nouvelles élections de 1791[9], l’Ain se place dans le camp des patriotes et Bourg, nouveau siège politique du département où œuvre la première société populaire du département, est définie comme le point névralgique d’où les impulsions partiront pour être relayés dans chaque commune du département[10]. Pour Lalande et le parti monarchien, dans ces élections « la canaille domine dans les assemblées »[11] et ces « enragés » sont personnifiés par Gauthier des Orcières, Morand et Goyffon. Seule la ville de Belley, siège de l’évêché et à des hommes politiques énergiques, est le second pôle révolutionnaire de l’Ain. Ces premières élections portent aux nues un patriotisme éclairé, incarné par Thomas Riboud et Brillat-Savarin, qui malgré sa députation, est tenu au courant des affaires du district de Belley par une correspondance avec Dumarest. C'est aussi à ce moment que se mettent en place les premières sociétés populaires dans l'Ain [12], matérialisant le désir de politisation populaire. Celle de Bourg, fondée en 1790 par des bourgeois locaux sous l’influence de Populus et Gauthier des Orcières “tous deux du club des Amis de la Constitution”[13] de Paris, tend à être dans l'obédience parisienne comme presque toutes les sociétés populaires du département à ce moment-là. Au début de 1791, des sociétés populaires rattachées aux Jacobins de Paris fleurissent dans le département sous l'activisme de certains patriotes. La société de Bourg se dote de statuts et s'affilie aux Jacobins de Paris en janvier 1791. La société populaire de Pont-de-Vaux s'affilie le 2 janvier 1791, celle de Trévoux le 24 mars et celle de Châtillon-sur-Chalaronne le 20 avril.
Avec la création du département de l’Ain, la frontière franco-suisse, plutôt franco-genevoise, est tracée. A sa vue, elle est « tout sauf logique »[14]. En effet, « alors qu’en ligne droite elle ne dépasserait pas vingt kilomètres, en fait elle en compte plus de quarante »[15]. Lors de la création du département, les discussions de positions de la frontière ne concernent pas la séparation de deux pays amis et fort désireux de vivre en bon voisinage. Outre d’être le résultat de siècles de rivalités, de discussions et de guerre, la frontière franco-suisse devient dans l’Ain le second point d’encrage des craintes et méfiances contre-révolutionnaires des patriotes du département après Lyon. En effet, la Révolution met en apparence, dès 1790 entre la Suisse, en particulier le Genevois, et l’Ain, une rivalité et des dissensions larvées à travers la contrebande, l’agiotage, l’accueil d’émigrés et d’agitateurs royalistes et le mépris suisse des français. Au fur et à mesure que les événements s’enchaînent, les rapports de l’Ain et de la Suisse évoluent et changent au gré des situations politiques.
[1]Le pays de Gex ne veut pas être rattaché avec le Bugey. Le Bugey veut être un département dans lequel la ville Nantua serait souveraine sur celle de Belley pourtant chef-lieu religieux du département avec l'évêché.
[2] Civrieux, Genay, Massieux, Riottiers, Saint-Bernard, Saint-Didier-de-Formans et Saint-Jean-de-Thurignieux.
[3] Rillieux la Pâpe ne sera cédée au Rhône que dans les années 1960.
[4] Aromas, Burigna, Ceffia, Cessia, Chalea, Chavagna, Coisia, Lhopital, Peisoux, Saint-Jean-d’Etreux, Saint-Martin-de-Vaugrigneux, Thoirette et Villette-la-Montagne.
[5] GROSCASSAND DORIMOND : Observations, 1790. Collection de l'auteur.
[6] A.C. Grand Abergement. 1er registre de délibérations.
[7] Si à Ceyzériat, sur 19 élus municipaux le 22 février 1790, seuls 5 seront membres de la société populaire en l'an II, à Trévoux, se sont 5 élus municipaux de 1790, sur 8 que l'on retrouve comme militants révolutionnaires. A Châtillon sur Chalaronne, sur 11 membres de la municipalité élus en 1790, 8 sont militants révolutionnaires.
[8] Sur les 12 membres du district de Châtillon élus en 1790, seulement 6 sont militants révolutionnaires.
[9] “le corps municipal est renouvelé...ceux qu’on évince, c’est la bourgeoisie constitutionnelle, ceux qui arrivent seront des Girondins”. JARRIN (Charles) : "Bourg et Belley pendant la Révolution" in Annales de la Société d’Emulation de l’Ain, 1879, 3e livraison, pages 225 à 268.
[10] "Ils devraient faire venir les journaux et les lire à tout le monde comme on fait à Bourg ". Dénonciation faite contre l'huissier Morellet par Grosacassand Dorimond au bailliage criminel, 28 août 1790. A.D. Ain série J fonds Groscassand Dorimond.
[11] Anecdotes de Bresse de Lalande. Bibliothèque de la S.E.A..
[12] La société populaire de Lyon est fondée le 10 septembre 1790 par les sections.
[13] JARRIN (Charles) : "Bourg et Belley pendant la Révolution" in Annales de la Société d’Emulation de l’Ain, 1879, 3e livraison, pages 225 à 268.
[14] GEISENDORF(Paul F.) : « la frontière helvétique » in Visages de l’Ain.
[15] GEISENDORF(Paul F.) : « la frontière helvétique » in Visages de l’Ain.
d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II
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