1789 sous le bonnet rouge : création de la Garde Nationale

LA JACOBINISATION DES FOULES :

De l'esprit des Lumières aux lanternes populaires

1789-1792

 

 

A côté de ces actes révolutionnaires populaires, la création des gardes nationales marquent une dernière tentative de concorde entre la noblesse et la bourgeoisie pour garder le contrôle de la sûreté face à une foule révolutionnaire aux actions impressionnantes. Comment cette volonté politique populaire, jusque-là intelligemment ignorée par les hommes de 1789, et révélée par les événements de l'été 1789 peut-elle évoluer avec la formation de la Garde Nationale et du département et se muer en opposition aux hommes de 1789 ?

Création de la Garde Nationale :

Réminiscence des milices bourgeoises aux soldats-citoyens

 

            A Paris, la chute de la Bastille entraîne la création de bataillons de soldats citoyens connus sous le nom de Gardes Nationaux. Dans l'Ain, comme dans l’Isère, ce sont les émotions nées de la Grande Peur qui entraînent la mise sur pied, par la bourgeoisie et la noblesse, de milices bourgeoises composées de citoyens qui, en plus de leur journée de travail et leurs différentes obligations civiles, servent la Nation par un service de garde militarisée.

            Alors qu'à Lyon, une partie des fils des bons citoyens forment une garde bourgeoise volontaire afin d'aider le régiment suisse de Sonneberg à réprimer les émeutes contre l'octroi du 5 juillet, dans l'Ain, la création de milices bourgeoises se fait spontanément par le peuple dès le mois de juillet 1789 dans les bourgs et les villes. Bourg décide de créer sa milice bourgeoise le 16 juillet afin de protéger les fonds communaux déposés à l'Hôtel de Ville. Le 25 juillet, la municipalité de Montluel, sous la menace de la Grande Peur, crée sa milice bourgeoise. Le 27 juillet, à Châtillon-sur-Chalaronne, l'Assemblée municipale décide la formation d'une milice nationale "pour prévenir les incursions dont on est menacé de la part des brigands qui inondent le royaume" [1]. Le 9 août, les syndics de Saint-Trivier réactive le service de sa milice bourgeoise en soldant « quatre fusiliers pour monter la garde, le jour seulement » [2]. Le 25 août 1789, la milice bourgeoise d'Oyonnax est créée. Ces organisations révèlent un caractère nouveau : le volontariat spontané de civils comme réponse à une situation qui les concerne, "la sûreté de la Constitution et . . . celle de la société en général"[3]. Si à Lyon, la milice bourgeoise muscadine a comme vocation d'étouffer l'élan révolutionnaire populaire, et à Grenoble, l’assemblée des trois ordres du 15 juillet 1789 lui donne pour but d’éviter une émeute populaire en déclarant vouloir défendre les décrets de l’Assemblée mais aussi “ protéger les biens et les propriétés ”[4], dans l'Ain, au contraire, elles ont pour but de protéger le peuple et ses intérêts. Toutefois, leur recrutement se fait surtout au sein d'une population urbanisée où beaucoup de nobles ou de privilégiés trouvent un emploi patriotique au sein des états-majors[5]. Entre la fin de 1789 et 1790, ces milices bourgeoises laissent la place à une structure militarisée, la Garde Nationale, dans laquelle les citoyens, formant l'élément de base, s'engagent en masse. La milice de Belley se forme en garde nationale et citoyenne de Belley, à l’hôtel de ville, le 16 novembre 1789, celle de Simandre-sur-Suran est formée de 96 membres le 30 avril 1790. La Garde Nationale de St Julien-sur-Reyssouze est composée de 150 hommes et celle de Bourg compte 450 hommes. Ces gardes nationales adoptent un règlement et un mode de fonctionnement, puis les compagnies et les bataillons se dotent d'un uniforme et d'armes, insignes de leur force et de leur pouvoir. A Belley, l’uniforme est adopté le jour de sa création.

Ces gardes nationaux sont de trois types : les fantassins, répartis entre fusiliers, chasseurs et grenadiers, les cavaliers et les canonniers. Dans les grandes villes de l'Ain, les Gardes Nationales se dotent d'une musique, souvent composée d'un tambour et d'un fifre [6], prise en charge par la municipalité ou le conseil d'administration de la Garde Nationale. Si la confection des uniformes se fait aux frais des citoyens par les tailleurs locaux, avec des fournitures parisiennes, la fourniture des armes pose plus de problèmes[7]. Si beaucoup d'entre-elles sortent des dépôts militaires et sont confiées au soin des districts qui les répartissent entre les municipalités qui en ont la garde, il arrive que le défaut d'armes pousse des communes à passer commandes de piques au maréchal-ferrant du pays. Ainsi, à Châtillon-sur-Chalaronne, la municipalité lance une souscription publique pour l'achat de fusils et de poudre en septembre 1789. A Saint-Trivier, la ville ne possédant pas d’armes, une commande de 50 fusils est passée par les syndics de la ville, le 28 octobre 1789, qui seront numérotées de 1 à 50. Ces fusils prennent le nom de fusils nationaux. Il s'agit du modèle 1777, souvent raccourci pour faciliter la manœuvre. Dans le district de Nantua, 205 de ces fusils nationaux sont distribués dans 13 communes dès 1791.

 

A Bourg, comme dans beaucoup de communes du département, tous les citoyens sont astreints au service de la Garde Nationale[8], ce qui a pour conséquence l'armement de citoyens de milieux modestes qui, malgré de lourdes dépenses d'équipement et d'habillement, prennent leur rôle très à cœur : "la compagnie des volontaires en exprimant son zèle pour la cause commune…a dit que dans toutes les circonstances elle avait sacrifié et ses peines et ses moyens pécuniers. Elle a dit que composée de gens peu riches, elle avait fait un très grand sacrifice en adoptant l'uniforme et en le faisant à ses frais…quoique la majeure partie n'eut pas 400 livres de rentes" [9]. Mais rapidement, il s'avère que seule une partie des citoyens fait le service actif. En décembre 1790, seuls les citoyens actifs sont compris dans les listes de gardes nationales.

Avec la création des gardes nationales et leur structuration en 1790, le peuple fait désormais partie intégrante de la politique et de surcroît est armé même si les états-majors restent aux mains de l'élite d'Ancien Régime. La formation des Gardes Nationales entraîne une réelle prise de conscience politique du peuple et de son rôle et va se servir de cette structure pour former un contre-pouvoir aux municipalités mises en place en janvier 1790, comme à Treffort, où des troubles éclatent entre la municipalité et des membres de la Garde Nationale au sujet de la garde du drapeau : "j'observe à Messieurs de la Garde Nationale que quoi qu'on leur ait dit qu'ils étaient absolument indépendants de la municipalité, le département paraît cependant juger différemment puisque c'est à nous et non à M. le commandant de la Garde Nationale de faire…cette distribution"[10].

En 1791, suite aux événements politiques nationaux, les gardes nationales de l'Ain et la composition de leurs états-majors sont au cœur des débats. La Garde Nationale de Pont d’Ain adopte un règlement strict, dicté par la municipalité, le 26 juin 1791. A Châtillon, en septembre 1791, la société populaire et les officiers s'opposent quant à l'utilité d'organiser une nouvelle élection d'officiers. Pour les sociétaires, cette dernière permettrait "de fortifier l'ardeur, le zèle et l'émulation des citoyens"[11], tandis que pour les officiers issus de l'élection de 1789, cette nouvelle élection leur serait injurieuse. Les Gardes Nationales deviennent un laboratoire de démocratisation où le processus électif cède le pas aux besoins politiques ; si en 1789, la formation de la Garde Nationale de Châtillon est le fait de la municipalité, le 1er août 1791, sa réorganisation est celui de la réunion de 112 citoyens.

 

            Des relations du soldat-citoyen à la société naissent de l'idée de démocratie. En effet, le citoyen-soldat qui se met temporairement au service de la Nation, en participant aux astreintes de la Garde Nationale, s'élève dans l'estime de ses concitoyens car il fait preuve de civisme et d'intérêt pour la communauté en s'engageant à veiller sur la Nation et donc, à plus petite échelle, sur elle [12]. Le soldat-citoyen, tout en ne quittant pas son lieu de résidence,  montre, par son enrôlement dans la Garde Nationale, son adhésion aux idées politiques de la France et par son service, soutient les actions du Gouvernement, puisqu'il est de par sa fonction, la force armée de l'Etat[13]. Il devient ainsi le modèle de l'homme nouveau qui se crée de 1791 à 1792. La politisation populaire trouve avec le soldat-citoyen une oreille attentive aux idées démocratiques puis républicaines tout comme elle y trouve un relais. En effet, le garde national de par son engagement, son action mais aussi sa promiscuité avec ses concitoyens permet d'étendre la politisation et la prise de conscience patriotiques aux personnes qui l'entourent[14] ; lorsque le général Ravier supprime les postes de garde confiés à la Garde Nationale de Bourg[15] en floréal an II, pour les remettre à la surveillance de bataillons de volontaires, la société populaire de Bourg crie, le 5 et 7 prairial an II, à l’aristocratisme. Un symbolisme, une action de communication politique se met en place autour du soldat-citoyen. Par sa tenue, par sa cocarde, par son armement[16] mais aussi par sa participation à des fêtes, le garde national devient un vecteur de communication révolutionnaire. Lors des fêtes de la Fédération qui émaillent la France mais aussi la région Rhône-Alpes entrent 1790 et 1791[17], on distribue et l'on vend aux gardes nationaux présent un bon nombre d'objets qu'ils montreront comme souvenirs ou comme reliquaire patriotique. Ainsi les discours imprimés et distribués aux participants[18] sont précieusement ramenés et retranscrits dans les registres de délibérations des Gardes Nationales. Des ouvrages vantant le mérite des gardes nationaux sont édités, il en est de même avec les boutons et les médailles[19] qui commémorent d'une façon plus matérielle et visible ces grands moments de fraternisation.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1] Délibération de la municipalité de Châtillon sur Chalaronne, 27 juin 1789. A.D. Ain 5L 31.

[2] Cette garde nationale reçoit un uniforme le 20 octobre 1789. Ce dernier est différent de celui adopté par les gardes nationaux du reste du département et se rapproche de celui des chasseurs à pied. Il est composé d’un habit vert eau-vive avec collet, parements, revers et épaulettes écarlates, passepoilés de blanc. La doublure de l’habit est de drap blanc. Les boutons sont en métal uni blanc. Le gilet et la culotte sont de drap blanc. Le chapeau est uni avec la cocarde nationale. L’officier est distingué par une tresse tréflée et argentée sur l’épaulette.

[3]Mémoire pour l'organisation provisoire de la Légion Nationale de Bourg, 1790, collection de l'auteur.

[4] Bourde (Olivier) : “ La Garde Nationale de Grenoble entre l’été 1789 et octobre 1793 ” in “ Autour des mentalités et des pratiques politiques sous la Révolution Française ”, 112e congrès national des sociétés savantes, Lyon, 1987.

[5]Ces formations se font par la voie du volontariat, puis la nomination des officiers se fait par voie de vote. En 1790 les officiers et les commandants des Gardes Nationales sont le plus souvent d'anciens militaires retraités. Ainsi lors de l'élection du corps des officiers de la garde nationale de St Trivier-de-Courtes, le curé, Pierre-Charles Guiedan est acclamé aumônier, Antoine Démarest, ancien lieutenant en premier du régiment de chasseurs des Alpes et chevalier de St Louis, est acclamé commandant. Extrait du registre de la Garde Nationale de St Trivier-en-Bresse, 29 avril 1790, collection de l'auteur. A Belley, toutefois, les officiers, tous bourgeois de la ville, sont nommés par la mairie le 16 novembre 1789.

[6] Délibération de la municipalité de Châtillon-sur-Chalaronne, 27 juin 1789. A.D. Ain 5L 31.

[7]Le 28 juin 1790, la garde nationale de St Julien-sur-Reyssouze se plaint de ce qu'elle "ne peut être d'aucune utilité à la nation et au bon ordre, étant absolument sans armes fusil ou sabre". Lettre de la Garde Nationale aux officiers municipaux de St Julien-sur-Reyssouze, 28 juin 1790, collection de l'auteur.

[8] A Châtillon sur Chalaronne, le service de la garde nationale concerne tous les hommes de 16 à 60 ans. A Pont d’Ain, la garde nationale compte 88 hommes, le 24 mai 1790, à la prestation de serment.

[9] Lettre des officiers municipaux de Châtillon-sur-Chalaronne à Amelot de Chaillou. 3 janvier 1790. A.D.Ain  5L 31.

[10] Dénonciation faite contre l'huissier Morellet par Grosacassand Dorimond au bailliage criminel, 28 août 1790. A.D. Ain série J fonds Groscassand Dorimond.

[11] Arrêté de l'administration du département de l'Ain, 19 juillet 1791. A.D. Ain 5L 31.

[12] "Dignes chefs des légions Citoyennes. . . vous voudrez bien recevoir . . . l'hommage. . . sur . . . l'organisation constitutionnelle des gardes nationales, ces héroïques soutiens de la constitution. . . l'esquisse du tableau du civisme dans lequel vous figurez d'une manière si distinguée". Prospectus de Pierre Vaqué, n.d. A.D. Ain série L.

[13]En effet, la garde nationale a pour mission non seulement de veiller à la sûreté des biens et des gens, mais aussi à veiller à l'application des lois et dans le cas contraire à punir les contrevenant en servant de force de police.  Dans son règlement la garde nationale de Bourg donne ses objectifs "surveiller la tranquillité publique et la sûreté des propriétés".

[14]Les fêtes fédératrices organisées durant les étés 1790 et 1791, où se réunissent des délégations de gardes nationaux, sont le lieu de discours politiques et d'adhésion à la Révolution. Ainsi les messages entendus durant ces fêtes sont immanquablement rediscutés lors du retour à la maison des gardes.

[15] Notamment celui de la mairie.

[16]Les gardes nationaux ne possèdent pas leur fusil, ils en sont dépositaires devant la Nation, ces derniers appartenant le plus souvent aux municipalités ou au département.

[17] Une fête de la Fédération à lieu à Pont de Veyle, le 27 juin 1790, réunissant plusieurs Gardes nationales dont celle de Cruzilles, invitée la vieille par les officiers de la Garde Nationale de Pont de Veyle. Tous les gardes nationaux présents prêtent serment.

[18]C'est le cas du discours prononcé par le commandant de la garde nationale Lyonnaise, le Major-Général Frachon lors de la fête de la Fédération de Lyon du 14 Juillet 1791 et le compte rendu de la fête de la Fédération des Gardes Nationaux de Bourgogne à Besançon, aux quelles participent plusieurs détachements des gardes nationales de l'Ain.

[19]Des médailles ont été frappé à l'occasion de quelques unes de ces grandes fêtes de la Fédération. C'est le cas à Paris, pour la fête de la Fédération du 14 Juillet 1790, une médaille plaquée or est distribuée et sur laquelle il est rappelé le serment prêté par les personnes présentes ce jour là. C'est aussi le cas à Lyon, pour la fête de la Fédération Martiale du 30 Mai 1790.

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