1789 : la Grande Peur dans l'Ain

La Grande peur dans l'Ain : la première politisation populaire

 

Valentin du Plantier, député du Bailliage de Bourg et de Chalon et du Tiers Etat de Bourg et de la Province de Bresse, relance auprès du Ministre de la Justice, le 6 juin, la cause du Grand Bailliage de Bourg : "je commence le 3e mois de mes sollicitations auprès de votre Grandeur et le résultat de toutes mes démarches, de toutes mes peines est de ne voir encore la justice que j’attends…la voie de l’impression est celle que je me propose d’embrasser comme le plus capable de mettre l’opinion publique dans le cas de s’accorder avec la décision que je sollicite"[1]. Alors que le 8 juin, dans une lettre à Valentin du Plantier, Amelot de Chaillou ironise sur l’ascension politique de son ami : "Je me félicite, mon cher ami, sur vos projets de conquête, vous avez le temps de vous amuser à en faire et la ville de Bourg vous offre un vaste champ. Vos hauts faits se sont sans doute répandus au loin puisque les beautés viennent d’elles mêmes se soumettre à vos coups. Comme les absents ont toujours tort, je vous conseille d’en profiter, faites moi part de vos succès, quand vous en serez au point de pouvoir vous en vanter…J’ai fait votre éloge au Garde des Sceaux lorsque je l’ai vu à mon arrivée, il est convenu que vous avez de bonnes qualités, mais il vous regarde comme une très mauvaise tête ; ce n’est pas l’homme qui appuiera votre demande de la Croix de St-Michel… on dit seulement que les Etats Généraux s’échauffent de plus en plus"[2]. Les bouleversements sociaux, nés de la convocation des Etats Généraux et de la rédaction des cahiers de doléances, font craindre pour la sécurité des biens et des personnes.

C'est le 16 juillet 1789, qu'un courrier apprend à la population de Bourg les événements des 12 et 13 juillet de Paris. Affolés, les burgiens demandent, par sécurité, au receveur général de faire transporter à l'Hôtel commun les fonds dont il est dépositaire. Mais, outre l'organisation de la garde urbaine afin de surveiller le trésor public, les événements parisiens entraînent un bouleversement plus politique. La municipalité composée de sept membres, élus par un collège de vingt-trois personnes, est restructurée. Désormais sont admis deux représentants de chaque compagnie, corps et communauté ainsi que quatre notables. Une correspondance est ouverte avec la capitale et les principales villes de provinces[3]. Le 18 juillet, la nouvelle de la prise de la Bastille, « château de toutes forces…prison effroyable »[4], pousse quelques burgiens à tenter de mettre le feu au château de Challes, résidence des comtes de Montrevel, mais la présence du maire de Bourg, Chevrier de Corcelles, prévient l'assaut. Le lendemain le bruit court qu'une troupe armée approche de la ville. Ces événements, tout en rapprochant le peuple de son souverain, atterre la noblesse de l’Ain ; alors que le 20 juillet la municipalité de Bourg assure le roi de sa fidélité, tout en le priant de ne pas mettre d'intermédiaire entre lui et l'Assemblée, le 23, dix-sept nobles bressans déclarent publiquement ne pas “isoler leur intérêt de ceux de la Nation…(et) se considèrent que comme citoyens, ils désavouent et désapprouvent hautement tout ce qui a pu être fait par l’agent du despotisme pour asservir la nation ”[5]. Dans cette déclaration voulant rassurer l'opinion populaire bressane, ces dix-sept nobles entendent être les porte-paroles de toute la noblesse de Bresse. Quatre d'entre eux se présentent à l’Assemblée de la commune de Bourg, le 25, pour que leur délibération soit mise avec les archives communes. L’Assemblée décide de soumettre leur pétition aux communautés. Si elle est bien accueillie par les procureurs, les avocats, les notaires, les officiers de l’élection, les entrepreneurs et les médecins, elle est moins bien reçue par les marchands, boulangers, pâtissiers, aubergistes, orfèvres et horlogers, et avec des restrictions de la part des tailleurs d’habits, des cordonniers, des perruquiers, des jeunes gens de Bourg, des tisserands et des huissiers. Cette déclaration dévoile un clivage social profond. Pour ces derniers et les sergents de ville, la délibération de la noblesse n’est “pas légale, attendu qu’elle aurait dû être faite par une Assemblée générale de l’ordre de la noblesse. . .de l’autre côté il paraît dérisoire que le petit nombre de gentils hommes qui ont signé cette adhésion déclare que tous les gentils hommes absents faisant partie de la noblesse de Bresse. . .sont tous dans les mêmes sentiments ”[6].

 

Dans tout le département, la prise de la Bastille, la nuit du 4 août et les troubles dus à la Grande Peur provoquent un regain de violence, surtout dans les campagnes où l'on donne une interprétation étendue à l'abolition des privilèges[7] voire même à la première expression à l'anticléricalisme[8]. Le 24 juillet 1789, alors que la milice bourgeoise se met en place à Pont-de-Veyle, les habitants, joints à ceux des communes voisines, se rendent au château afin d’y saisir les papiers, les terriers, les pièces judiciaires et les portent à la mairie. Le 26, ce sont les habitants de Vonnas qui pillent le château de Béost et apportent les archives à Pont-de-Veyle, mais le lendemain, les habitants attaquent l’hôtel de ville et s’emparent des terriers. Ce même jour, les châteaux de Bohas et de la Rivoire sont pris par les paysans. Pourtant, sans doute dans la crainte d’être toujours sous le joug de ces documents, le 27 juillet, les habitants des campagnes se rendent à l’hôtel de ville de Pont-de-Veyle, qu’ils menacent d’incendier, prennent les documents et y mettent le feu.

Le mode de diffusion est rapide et irraisonné[9], par bouches à oreilles ou par écrit, et provoque un transfert du pouvoir envers un peuple qui a conscience de sa force, uni. A Ceyzériat, le 20 juillet, au son du tocsin, trois anciennes notabilités de la ville annonce l’arrivée d’une troupe de brigands qui rançonnent les campagnes. Cette nouvelle pousse les habitants de la communauté à se former en garde. Le 25, à Jasseron le curé de Simandre fait courir le bruit de l’arrivée prochaine de 200 brigands à cheval. C’est par écrit que Villeneuve et les paroisses environnantes apprend la venue de neuf cents brigands, le 28 juillet 1789, et la mise en état d’alarme de Trévoux et Villefranche, nouvelle qui produit plus d’effet que celle apprenant l’arrivée des brigands. A Seyssel, le long du Rhône, plus que les rumeurs de brigandages pourtant répandues, c’est le départ du bataillon des chasseurs d’Alsace et de l’escadron du Royal Etranger qui provoque, le 30 juillet parmi les bourgeois [10], un vent de panique. A Saint-Trivier, le 9 août, alors que le service de la milice bourgeoise est réactivé, les syndics demandent aux officiers municipaux de la ville de construire une porte ou une barricade à la porte de la vile dite « le petit pont », mettant ainsi en évidence le rôle désormais primordial des élus municipaux.

Le transfert d’autorité, de la seigneurie à la communauté d'habitants, conséquence de ces événements, est rapidement assimilé et appliqué par les habitants de l’Ain. A Trévoux se constitue, dès le 31 juillet 1789, un comité de correspondance composé de représentants des trois ordres chargé de la correspondance avec leurs députés respectifs. Mais dès l’ouverture d’un registre de délibérations, le samedi 8 août, ce comité devient l’embryon de la nouvelle municipalité de Trévoux. La Grande Peur, qui n’effraye que la partie peu instruite de la population[11], permet au peuple d’acquérir une notion de communauté identitaire, certes déjà connue autour du clocher, mais désormais établie autour d’une ébauche d’idée de fraternité et de résistance à l’oppression sans l’apport d’une autorité extérieur au cercle des habitants comme le curé : « la moitié de ma paroisse couche dans les champs & dans les bois ainsi que leurs bétails toutefois je fus appelé à l’église j’y allai & ne sachant que croire leur recommandai de ne point se défendre contre une si grande multitude mais de mettre leur confiance en Dieu »[12].

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1] A.D. Ain 95J 17.

[2] A.D. Ain 95J 17.

[3] DUBOIS (Eugène) : l'Histoire de la Révolution dans l'Ain. 6 tomes Librairie Brochot, Bourg, 1931-1935, réédition Ed. Verso, 1988. Tome 1

[4] Notes marginales du curé d’Agneriens. A.C. Agnereins.

[5] Extrait des registres de délibérations de la communauté de procureurs au baillage et siège présidail de Bourg, 25 juillet 1789. A.D. Ain 4L 30.

[6] Délibérations du corps des huissiers et sergents de ville, 26 juillet 1789. A.D. Ain 4L 30.

[7] Les habitants de Biziat vendangent les vignes de Mlle Uchard de Pont-de-Veyle. La population de Montluel au nom d’une coutume ancienne, envahissent la forêt d’Avaux à Ste Croix.

[8]Le 9 août 1789, des habitants de Nantua brisent la clôture de l'aumônier pour aller vider sa cave.  Le 12 août, les habitants de Prémilieu, Hostiaz, St Sulpice, des Catagnoles, de Tellières, de Vaux St Sulpice, de Ste Blaisine, de Thésillieux, de Genevray et de Ponthieu, menés par le maître d'école de Ste Blaisine, envahissent l'abbaye de St Sulpice, pillent les appartements,  prennent les quittances reconnaissant leurs dettes en la possession du prieur,  le forcent à reconnaître qu'ils lui doivent rien, le forcent à mettre le feu aux archives, s'emparent des provisions et des vins et dressent un potence dans la cour.

[9] « on sonna sans mon avis le tocsin » écrit le curé de Villeneuve, le 30 juillet 1789 dans son registre pariossial. A.C. Vuilleneuve. Dès le 29, on annonce que la rumeur est fausse.

[10] Ces derniers protestent par écrit contre ce départ.

[11] Pour le curé de Villeneuve,  la Grande Peur « dont la connaissance seroit peut être aux races futures ». A.C. Vuilleneuve.

[12] A.C. Vuilleneuve.

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