1789-1799 : les débuts de la Révolution dans l'Ain

NAISSANCE ET APPRENTISSAGE DE LA VIE POLITIQUE : LA REVOLUTION DANS L’AIN

 

 La décennie révolutionnaire marque un changement fondamental de la société française. En effet, par une secousse violente[1] et passionnée, les structures sociales administratives, politiques et financières dans lesquelles était la France d’Ancien Régime changent et ouvrent la France sur l’ère moderne.

Dans l'Ain, département conglomérat fortement marqué par des clivages géographiques et culturels, la Révolution Française permet à une grande partie de la population urbaine comme rurale de faire un apprentissage politique, à travers six grands événements, faisant d'eux des incontournables de l'administration impériale voire monarchique.

L'histoire de la Révolution dans l'Ain est marquée par deux particularités, d'une part l'influence de la géographie sur les hommes et d'autre part une politisation très forte des révolutionnaires de l'Ain à travers plusieurs événements qui prennent racines dès 1788. Ces deux facteurs, géographique et politique, font que la Révolution dans l'Ain s'affirme par des oppositions ; opposition entre les pays de l'Ain, opposition entre les classes sociales, oppositions avec les voisins, mais qu'outrepassant ces clivages les révolutionnaires de l'Ain, font l'apprentissage de la vie politique entre 1788 et 1795, en réaction ou en anticipation d'événements plus vastes.

En effet, la géographie physique et humaine du futur département de l'Ain influe sur le comportement politique et révolutionnaire des habitants de l'Ain, non seulement entre eux mais aussi et surtout avec les régions voisines, marquant profondément les choix politiques de certaines villes et districts du futur département de l'Ain dans des moments politiques graves notamment en 1788 et 1793. Il est donc intéressant de s'interroger sur les espaces géographiques qui formeront le département et leurs conséquences sur l'engagement politique des habitants de ces espaces, à travers les sociétés populaires et les comités de surveillance.

Il est aussi intéressant de comprendre le mode de politisation rapide et violent des révolutionnaires de l'Ain, à travers cinq facteurs, qui marque un particularisme local opposé aux modèles Lyonnais ou parisien : les débuts de la Révolution dans l'Ain qui voient des prémices de politisation rapide du peuple au détriment d'une aristocratie culturelle pratiquant le lobbying ; la jacobinisation des révolutionnaires entre 1790 et 1792 ; la réaction fédéraliste de l'Ain qui met en évidence la perte de contrôle des événements par une partie des révolutionnaires à l'avantage d'une minorité ultra politisée d'avril à août 1793 ; le règne de la politisation avec les ultrarévolutionnaires de l'Ain de septembre 1793 à mars 1794 puis la reprise en main messidorienne de la politique locale qui marque la fin de la vie politique dans l'Ain jusqu'en 1848.

En effet, département conglomérat fondé sur des oppositions, l'Ain acquiert une unité de conscience politique avec la révolution et notamment la période sans-culotte, qui fédère les hommes autour d'idées démocratiques très fortes dans la région.

 

 

2.0 LES DEBUTS DE LA REVOLUTION DANS L'AIN :

D'UNE ELITE A L'AUTRE

1788-1791

 

            Alors que se dessinent les grandes lignes d'opposition politique dans les pays de l'Ain entre privilégiés et roturiers, l'année 1788 voit la politisation de l'élite bourgeoise, issue de la magistrature, liée à une partie de la noblesse éclairée au sein de la Société d'Emulation[2], des sociétés de tir de l'Arquebuse à Bourg et à Pont-de-Vaux et des six loges maçonniques, au détriment de la grande masse des habitants des pays de l'Ain.

Avec les réformes des impôts de Calonne, pour une bourgeoisie informée des événements, 1788 s’annonce comme une belle année : « la partie des traites occupe actuellement la sagesse ministérielle on croit que les barrières seront reléguées aux extremités du Royaume en janvier prochain quand aux gabelle on en réserve la suppression pour faire époque dans le courant du mois de may il faut pour accorder à la nation cette faveur signallée, savoir ce que nous produiront les abonnements et les subsides confiés à l’administration des assemblées provinciales d’après leurs avis et sur la certitude qu’on aura de ce que pourra produire chaque province alors pour le bien général le sel sera rendu marchand dans toute l’étendue du Royaume ainsy le patriotisme, l’humanité distingueront en 1788 la quatorzième année du règne de S.M. » [3].

A l’échec de Calonne et s’ajoutent les réformes judiciaires avortées de Lamoignon ce qui jouent un rôle important dans la prise de position rénovatrice des premiers hommes politiques de l'Ain et de l'appropriation de l'espace identitaire local. En effet, par réaction au conservatisme parlementaire bourguignon, la prise de position d'une partie des magistrats du bailliage de Bresse peut-elle constituer les prémices d'une autonomie locale face à la Bourgogne ? Marquent-elles une continuité dans le "lobbying culturel" des élites sociales des pays de l'Ain ou l'émergence des premiers hommes politiques de l'Ain ? De même la convocation des Etats Généraux et la rédaction des cahiers de doléances sont-ils le reflet réel des vœux de tout le Tiers Etat ou l'expression de la volonté d'une minorité instruite plus préoccupée de ses intérêts de classe que de ceux de la volonté populaire ? En opposition, la noblesse et les privilégiés restent-ils en dehors du débat politique ou eux aussi se politisent-ils autour d'idées communes ?



[1] De cette notion de rapidité et de violence découle l'idée de Révolution et non pas celle d'Evolution.

[2] 13 des 18 membres de la Société d'Emulation résidant dans l'Ain seront des acteurs des débuts de la Révolution.

[3] Journal manuscrit, 19 octobre 1787. Coll. Part.

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

 



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