1789-1799 sous le bonnet rouge : l'agriculture dans l'Ain au XVIIIe

Dans la plaine de Bresse, où la configuration géographique facilite l'agriculture, le canton de Montrevel est le plus fertile et le mieux cultivé du pays. La fertilité de la région de Pont-de-Vaux favorise le commerce du millet et du chanvre dont le travail a tendance à polluer l'atmosphère pourtant saine de la ville. Ce canton bénéficie d'une foire où l'on vend le produit de l'élevage local composé de chevaux, de porcs et de volailles de Bresse. On n'y trouve pas d'industrie sauf des tuileries et des poteries favorisée par la rivière la Reyssouze. A Bâgé-le-Châtel, les terres labourables ne sont pas étendues mais sont très fertiles. Si l'agriculture est naturellement favorisée en Bresse, son ouvrage reste pénible, entre pioche et charrue, "pourtant, le milieu du XVIIIe siècle semble marquer…un changement important…le maïs est introduit en Bresse"[1] et l'établissement de la route royale de Bourg à Mâcon facilite les échanges. La production de vin est de très médiocre qualité dans l'ensemble de la Bresse, l'ingénieur Aubry en attribue la cause au manque de chaleur du vin au palais dû à l'âpreté des grains issus "de pantis martiales et conséquemment vitrioliques…puisqu'ils croissent généralement sur un sol dont le fond est argileux"[2]. Par contre, si le vin est meilleur dans les contreforts du Revermont, à Ceyzériat la culture des grains ne suffit pas à nourrir les habitants tandis qu'à Coligny la plaine est fertile. Les habitants du Revermont doivent alors aller en plaine de Bresse louer leurs bras aux champs ou à la proto-industrie. Malgré ces avancées des progrès économiques et les travaux utiles à l'agronomie et à la société de la Société d'Emulation de Bourg depuis 1783[3], "les inégalités sociales se sont fortement creusées en Bresse dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle"[4].

 

En Dombes, le régime alimentaire est insuffisant et médiocre à l'image d'un sol marécageux, caillouteux et argileux peu fertile. Le centre de la Dombes, voué à la pêche lorsque les étangs sont pleins, devient une terre favorable aux céréales panifiables lorsque les étangs sont asséchés. A St Trivier sur Moignans, l'agriculture se trouve "dans un triste état de langueur à cause de la disette des bras"[5]. Sur les abords sud-est de la Dombes, la terre permet la culture de blés, de légumes, de chanvre, tandis que seul le Val de Saône semble offrir un territoire plus fertile et un vin de bonne qualité, comme dans le canton de Thoissey. A St Didier de Formans et dans le Franc Lyonnais l'agriculture est rendue difficile à cause  du "terroir ingrat et…parce qu'il souffre souvent de grands dommages par les fréquentes inondations de la rivière Saône"[6], tandis qu'au nord de la Dombes, à Pont-de-Veyle, même si le sol est humide, il reste bon et cultivable. A la limite Nord-Est, entre la Dombes et la Bresse, à Lent, le sol, très médiocre ne donne que peu de froment et comme en Dombes, les étangs sont la propriété d’étrangers à la communauté. En Dombes, le paysan est rarement propriétaire de la terre qu'il exploite. Les domaines dombistes appartiennent majoritairement, avant la Révolution, à des communautés religieuses Lyonnaises ou de grands bourgeois Lyonnais : le seigneur de Montellier, Joyeux et Cordieux, Greppo, habite paroisse St Vincent à Lyon. L'élevage, quasiment absent, est de taille médiocre et voué aux 2/3 au travail. Le système de fermage dombiste à deux degrés est hérité du XVIIe siècle et appauvrit les grangers à qui il ne laisse que 30% de leurs revenus. Même si les dombistes arrivent à produire un peu de céréales et assez de poisson, ces productions annuelles insuffisantes sont ingurgitées par le marché Lyonnais au détriment des autochtones, en effet la vente de la pêche dombiste est un privilège de l'Eglise et de la noblesse.

 

Dans le Bugey, l'économie est essentiellement issue d'une polyculture variée, tandis que dans le pays de Gex, l'agriculture est bovine, orientée vers la vente de lait, de beurre et de fromage. Dans le Bugey, l'agriculture dépend du sol. Ce dernier, très montagneux à Lhuis ou à St Rambert, est difficile à cultiver, ce qui éloigne les habitants de ce mode de travail. A Châtillon en Michaille, la terre est peu productive et le sol de Brénod, aride, ne produit que peu de chose. Dans les régions les plus montagneuses du Bugey, comme dans la combe d'Evuaz, "vivre uniquement de la terre dans une région aussi difficile est tout à fait impossible…les gens d'Evuaz ont toujours dû pratiquer des activités complémentaires qui leur permettaient de s'occuper l'hiver et de gagner de l'argent"[7], notamment avec le travail du bois. Dans le nord du Bugey, vers Oyonnax, le sol est assez productif comme plus au sud, à Belley, où il est très fertile et très bien cultivé bien qu'il n'y ait pas d'élevage à cause du manque de fourrage et de pâtures. Dans le Bugey, l'élevage n'est pas spéculatif et constitue un auxiliaire de la culture, la production de lait est vouée à la fabrication de fromage, tandis que l'important vignoble dont la production est exportée dans les régions voisines permet l'achat de grain. Le canton de Nantua est doté de plaines fertiles et de forêts couvrant les montagnes. Le canton de Brénod possède, comme celui d'Oyonnax, une grande richesse dans ses forêts. Mais, de fait les productions céréalières bugistes sont insuffisantes et il leur faut importer des grains de Bresse et de Franche-Comté par Nantua, Ambérieu, Lagnieu, St Rambert et Belley.

De cet appauvrissement bugiste, des différences sociales se font jour dans la communauté de St Rambert, entre la notabilité composée de nobles, gens de la basoche, bourgeois, gros marchands et maîtres artisans, et les gens du bas peuple. Comme en Bresse, les esprits sont entraînés aux revendications sociales et à la politisation par l'idéalisation de leurs revendications.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1] FROMONT (Michel) : Cornaton, un terroir de Bresse au fil des siècles. M&G éditions, Bourg en Bresse, 1999, 69 pages.

[2] Discours d'Aubry sur les vins de Bresse, 1er registre de la Sopciété d'Emulation, 24 mars 1783. Archives de la Société d'Emulation, déposées aux A.D. Ain.

[3] Le 7 avril 1783 M. Perier fait une dissertation pour savoir jusqu'à quel point la population doit être encouragée et favorisée sous un gouvernement sage. Il démonte ainsi qu'une population nombreuse forme une nation puissante aussi bien militairement, économiquement, culturellement mais à laquelle il faut une police et des principes judiciaires sévères. Le 22 avril 1783, M. Bernard fait un discours sur l'utilité des gardes messiers. Le même jour M. Piquet fait des obesrvations sur l'influence des sciences et des arts sur l'agriculture.

[4] FROMONT (Michel) : Cornaton, un terroir de Bresse au fil des siècles. M&G éditions, Bourg en Bresse, 1999, 69 pages.

[5] BOSSI : Statistiques sur le département de l'Ain, 1806. A.D. Ain.

[6] Hubert de St Didier : Recueil des titres et autres pièces authentiques concernant les privilèges et franchises du Franc Lyonnais. Lyon, 1716.

[7] VANDEMBEUSCHE (Marie-Claude) : La combe d'Evuaz. M&G éditions, Bourg en Bresse, 2000, 128 pages.

 

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