1789-1799 sous le bonnet rouge : le nourrisage

Si la grande partie des révolutionnaires de l’Ain sont nés et élevés dans le cercle familial de leur époque, un petit nombre, notamment dans les volontaires, sont issus d’un système économique lié à la misère.

 

De l’Ancien-Régime au XIXe siècle, le Revermont et le Bugey, du moins le plateau de Hauteville, se distinguent du reste du département par une manière singulière de gagner de l’argent : le nourrissage.

En effet, « de nombreux hameaux misérables tireront une part essentielle de leurs revenus des sommes versées par les recteurs» [1] faisant du nourrissage une affaire de famille voir même la création de dynastie de famille de nourrice. Cette mise en nourrice dans un lieu éloigné de la ville de Lyon est une sécurité pour l’Hôtel-Dieu de Lyon. En effet, à Lyon, les « nourrices sont réservées aux enfants de naissance légitime et non-abandonnés. L'Hôtel-Dieu doit donc recruter de plus en plus loin, au fur et à mesure que les familles prennent l'habitude de faire garder leurs enfants en nourrissage. En général, l'Hôtel-Dieu n'envoie dans le Lyonnais que les enfants de plus de 1 an. Mais il y a également un facteur tout autre : l'Hôtel-Dieu ne veut pas prendre le risque de confier à une nourrice son propre enfant qu'elle aurait abandonné. Elle serait alors rémunérée pour son propre abandon. L'envoi en nourrice dans un rayon plus grand est donc une sécurité supplémentaire »[2].

Cet utilisation de la misère pour gagner sa vie dans des régions dites misérables n’est alors pas critiquée et encore moins surveillée. De la fin de l’Ancien-Régime au 1er Empire, utiliser les orphelins, considérés comme une « tourbe d’êtres disgraciés », « est normal »[3] car c’est le sortir de « l’oisiveté et [du] vagabondage »[4] vers lequel ils vont naturellement tendre puisqu’ils sont pour la société le fruit du libertinage[5]. Leur apprendre un métier est vu comme une nécessité sociale qui aurait même du être mis en place plus tôt.

Toutefois, sous la 1er Empire, la pratique tend à être surveillée et contrôlé notamment à Aranc où le constat est flagrant : « les enfants de la Charité [de Lyon] sont trop multipliés dans cette paroisse et surtout Résinant et Pézière dont le sol est stérile et fournit à peine pour l’habitant…on peut y placer des enfants à la mamelle, lorsqu’on aura pas d’autres débouchés mais peu de sevrés et les placer avec précautions »[6]. Sur 10 communes du Bugey[7] inspectées par els religieux de la Charité entre 1802 et 1818, seules 5 communes y sont reconnues pour que « les enfants y sont bien à tous égard » [8]. En effet, malgré leur nombre, 776 vers 1804/05, encore 1/5e d’entre eux décèdent sous le Premier Empire, grossissant le nombre de décès, notamment en Bresse et Dombes au point de rendre les décès excédents sur les naissances.

Toutefois, ceux qui restent contribuent pas peu à la naissance et à l’accroissement de la population et en moindre part aux idées. En effet, ce sont une partie de ces enfants placés des Charités de Bourg et Lyon, êtres sans racines et sans avenir, de la génération d’Ancien-Régime qui fourniront une partie des volontaires des bataillons de l’Ain sans pouvoir contribuer de trop à la Révolution au village où  leur statut social de déclassé ne leur permet pas ouvertement de prendre part activement aux événements révolutionnaires.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 



[1] ZELLER (Olivier) : « Les hommes de la croissance », Histoire de Lyon des origines à nos jours.

[2] BOURGEAT (Jean-Marcel) : L’abandon d’enfants à Lyon. Le cas de 1760. Master d’histoire sous la direction d’Olivier Zeller, Lyon II.

[3] BARDIN (Général) : « Recherches historiques sur le régiment des Pupilles de la Garde » in Spectateur  Militaire.

[4] BARDIN (Général) : « Recherches historiques sur le régiment des Pupilles de la Garde » in Spectateur  Militaire tome 23.

[5] « Dire que les enfants abandonnés sont le fruit de la débauche et du libertinage, comme beaucoup l'estimait au XVIIIe siècle, est certes une vérité, mais ne constitue qu'une infime part des abandons ».  BOURGEAT (Jean-Marcel) : L’abandon d’enfants à Lyon. Le cas de 1760. Master d’histoire sous la direction d’Olivier Zeller, Lyon II.

[6] Inspection des communes [1808 – 1818]. AM Lyon CH-4Q341 cité par FAURE (Thierry) : « Visite du plateau par les curés des Hospices de la Charité de Lyon » in les Cahiers du Dreffia n)18, juillet 2001.

[7] Aranc, Brénod, Champdor, Corcelles, Corlier, Cormoranche, Hauteville, Hostiaz, Lacoux et Longecombe.

[8] Inspection des communes [1808 – 1818]. AM Lyon CH-4Q341 cité par FAURE (Thierry) : « Visite du plateau par les curés des Hospices de la Charité de Lyon » in les Cahiers du Dreffia n)18, juillet 2001.

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