1789-1799 : un espace économique

Le régime alimentaire et la production des sols des différents pays composant l'Ain sont aussi très différents alors que le prix du blé augmente entre 1770 et 1771, mais aussi de 40% entre 1779 à 1793[1]. Face à cette augmentation exorbitante de la vie[2], les capacités productives des pays de l'Ain sont inégales[3]. La Bresse compte à elle seule, en 1806, 146 590 hectares de terre exploitée tandis que le Bugey, renfermant les arrondissements de Nantua et de Belley en compte 142 971.

 

Industrie

 

La mutation économique du XVIIIe siècle marque l'avènement de la proto industrie, issue de la croissance démographique et touche la branche dominante des premiers espaces industriels français, le textile. En effet, le XVIIIe siècle est un siècle de transition et marque la fin des économies traditionnelles, par l'essor des industries rurales, où le paysan-manouvrier fabrique et vend en dehors du cadre régional un produit fini, qui engendre un essor de l'industrie par la stimulation de l'agriculture commerciale et la définition des villes comme centres commerciaux. Cet essor de l'industrie engendre la création d'un capital à destination de l'industrie, issu des marchands-fabriquants qui deviennent des gestionnaires bénéficiant d'un savoir faire qu'ils peuvent délocaliser là ou se trouve la main d'œuvre qui apprend facilement ces techniques. Le phénomène de proto industrialisation est social et démographique, ce qui favorise la croissance de l'industrialisation. Les paysans bénéficient ainsi d'un revenu supplémentaire, ce qui permet aux couples de s'établir et de devenir indépendant, entraînant une baisse de l'âge au mariage et une hausse de la natalité dont le département est l'Ain est un exemple.

 

Si la richesse du sol est inégale, la presque quasi absence d'industrie est elle globale dans le futur département de l’Ain contrairement au futur département de l’Isère, où Claude Périer, qui accueille des députés dauphinois dans son château de Vizille le 21 juillet 1788, est une figure de la manufacture et de la finance [4] : "vers la moitié du siècle dernier, la plus grande partie du pays qui forme le département de l'Ain était sans commerce, sans industrie…isolés, inconnus même pour ainsi dire, ses habitants vivaient dans l'inaction et ses campagnes quoique fertiles étaient loin encore d'apporter tout ce que le cultivateur…en retire à présent…ce n'est que dans les montagnes du Bugey, et particulièrement dans l'arrondissement de Nantua, où l'industrie, fille de la nécessité, a surmonté tous les obstacles" [5]. En effet, malgré quelques tentatives infructueuses d'industrialiser le département, à Bourg par les frères Castel et leur manufacture de montres, à Pont-de-Vaux avec l'architecte Racle en 1780, à Pont-de-Veyle avec la manufacture d'étoffe de coton ou à Montluel avec une indiennerie et une blanchisserie, la proximité de Lyon et de Genève absorbe la main d'œuvre et les matières premières propres à une industrialisation[6]. La seule proto-industrie viable en Bresse se situe dans le Revermont, dans le château de Meillonnas, où 18 ouvriers fabriquent une faïence de qualité commune ayant ses débits à Bourg et à Mâcon. L'industrie est donc rejetée aux marches du département, dans le Haut Bugey, dans le pays de Gex ou à Trévoux. Dans les Dombes, l'industrie est, comme en Bresse, quasiment inexistante, mis à part à Trévoux, où le tirage d'or existe depuis 1688[7]. Malgré des essais de valorisation des techniques proto-industrielles pour la perfection de la fabrication des tuiles par la Société d'Emulation de Bourg au cours de l'année 1785, l'industrie bressane et dombiste, la veille de la Révolution, est au point mort et ceci au plus grand regret des habitants qui en trouvent la cause dans la gratification : "la suppression de toutes espèces de gratifications relatives aux manufactures actuellement établies dans la province de Bresse, notamment la gratification qui, suivant le bruit public, est accordée pendant cinq ans à l'établissement d'une indiennerie près de Montluel et une filature de coton à Bourg. Ces gratifications ne s'accordent dans aucune autre province à des manufactures de cette nature dont on voit souvent l'établissement s'évanouir quand la gratification cesse"[8].

 

Dans le centre du Bugey, la difficulté d'exploitation du sol pour des villes comme St Rambert pousse la population dans l'industrie : trente-trois localités du Bugey fournissent des travailleurs à la proto-industrie. Mais celle-ci, d'abord florissante, se trouve à la veille de la Révolution mise à mal par les normes de longueur et de largeur les privant ainsi d'ouvrages ce qui les empêche de réformer leurs métiers à tisser. Le débouché de la toile rambertoise est alors presque exclusivement Lyonnais, mais il s'en fait aussi un grand débit dans le Dauphiné voisin, la Provence, le Languedoc et la Bourgogne, ouvrant le Bugey sur un axe méridional. La seule industrie sensiblement rentable est une verrerie fondée en 1788 par Jean-Pierre Billon au hameau du Sapey dans la commune de La Balme qui emploie en 1806, 60 personnes et fabrique du verre blanc, des flacons, des chopines à liqueur et des topettes à sirop à raison de 4 000 par jour. Comme pour les toiles rambertoises, le débit se fait en Suisse, à Lyon et à Grenoble.

 

Durant le 1er Empire, malgré les encouragements de la Société d’Emulation et du Gouvernement, par l’intermédiaire de prix à l’exposition industrielle de 1806,  l’industrie ne se développe pas dans l’Ain contrairement à l’artisanat urbain. Le Bugey souffre du manque d’industrie et de commerce : à la fin de 1812, le commerce des toiles de St Rambert, mais aussi du bois des cantons de Champagne et Hauteville s’ils se maintiennent, sont « languissant »[9]. Malgré la création d’une fabrique de filature et de tissage de laine à Ameyzieu, le 20 juillet 1813, le sous préfet de Belley regrette que le « commerce…est ordinairement d’une faible importance…il languit…de la rareté du numéraire »[10].

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", soutenue et obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II

 

 



[1] Voir annexe I.

[2] A Ambérieu en Bugey, la livre de pain blanc passe de 2 sols 6 deniers en 1786, à 3 sols 3 deniers en 1787, 3 sols 4 deniers en 1788 et 4 sols en 1789. A Bourg la même livre de pain blanc passe de 3 sols 6 deniers en 1788 à 4 sols 3 denier en 1789

[3] Voir annexe II.

[4] Dans sa manufacture de quincaillerie de Grebnoble, il assure l’apprentissage des enfants à des horaires toutefois peu clément, 13 heures par jour en été et 10 heures en hiver.

[5] BOSSI : Statistiques sur le département de l'Ain, 1806. A.D. Ain.

[6] CHASSAGNE (Serge) : Le coton et ses patrons, France, 1760-1840. Editions E.S.S., 1991, 732 pages.

[7] BENOIT (Bruno) : L'or de la Dombes. Trévoux et ses tireurs d'or au XVIIIe siècle. Editions de Trévoux, Trévoux, 1983. CROYET (Jérôme) : Itinéraire d'un bourgeois trévoltien, Jean Baptiste Pété, tireur d'or et homme de Loi, Bourg, 2002, à paraître aux Annales de la Société d’Emulation de l’Ain.

[8] Cahier de doléances de Montluel, A.D. Ain 52B16.

[9] Lettre du sous préfet de Trévoux, 15 janvier 1813. A.D. Ain 4M 24.

[10] A.D. Ain 4M 24.

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