1789 - 1799 : sous le bonnet rouge - une nouvelle lecture de la Révolution dans l'Ain

L'étude de l'histoire de la Révolution dans l'Ain ne s'est bornée jusqu'à présent qu'à l'étude des événements[1]. Pour bon nombre d'historiens et d'érudits, ainsi que pour le grand public, les militants révolutionnaires de l'Ain, outre d'être perçus comme les foules révolutionnaires parisiennes, des "cohues amorphe et homogène des échelons inférieurs de la société parisienne toujours prête à faillir au moindre signe de la part des chefs politiques, ou à réagir spontanément à la faim"[2], ne sont incarnés que par Thomas Riboud, Brillat-Savarin, Albitte, Rollet-Marat, Blanc-Désisles et Juvanon. Comme le rappelle Louis Trénard dans la préface de l'ouvrage de Paul Feuga[3], "pour connaître les hommes, comprendre les événements, expliquer les phénomènes de société. . . l'historien doit s'intéresser aussi à ceux que la mémoire collective retient sans qu'ils aient accompli des actions d'éclat ni atteint les plus hauts degrés de la renommée. Ces célébrités moyennes sont dites aujourd'hui des relais culturels ayant établi des relations entre les grands de ce monde et les oubliés de l'histoire"[4].

Afin de comprendre la Révolution dans le département de l’Ain, entre Saône et Rhône, au pied des monts du Jura, au carrefour du Nord et du Sud, dans le particularisme départemental, il est indispensable de repérer et de connaître ces militants de la Révolution dans l’Ain, qu’ils soient constitutionnalistes de 1790, jacobins, fédéralistes, sans-culottes ou thermidoriens. Mais il est aussi indispensable de comprendre les mécanismes, géographiques, économiques, humains, politiques, idéologiques et anthropologiques qui amènent plus de 10% de la population masculine du département de l'Ain à entrer en Révolution.

 

Pour beaucoup de nos contemporains, l'évocation de la Révolution Française se limite aux seuls grands événements parisiens (prise de la Bastille, nuit du 4 Août 1789, prise des Tuileries, 21 Janvier 1793 ou 18 Brumaire) et aux célèbres protagonistes que sont Mirabeau, Lafayette, Danton, Marat ou Robespierre. Si Paris demeure le centre d'une histoire de la révolution, générale et scolaire, elle ne le doit qu'à sa proximité avec Versailles (jusqu'à l'arrivée de Louis XVI dans la capitale), à sa population nombreuse et au centralisme politique qui se met en place avec les Jacobins, le Directoire, le Consulat puis l'Empire. En effet, si dans beaucoup d'ouvrages, une bonne partie de l'histoire de la Révolution reste attachée à la capitale, chaque département possède sa propre histoire de la décennie 1789-1799. Toutes les régions de France ont connu ou ont ressenti de manières différentes les vagues du souffle révolutionnaire. Depuis, notre quotidien est marqué par les avancées et les événements de cette période : droit de l'homme, abolition de l'esclavage, divorce, décentralisation, suffrage universel, aide sociale, scolarité pour tous et obligatoire. Si au niveau national ou international, des personnages emportent les suffrages de la postérité, au niveau régional de nouvelles figures émergent et sont des figures emblématiques de la Révolution en province. L’histoire de la Révolution dans l'Ain est en partie occultée par celle de Lyon où se côtoient, sur le haut de la marche, des personnages singuliers comme Challier, Imbert-Colomès ou Fouché. Mais ces derniers, s'ils laissent la place aux éminences nationales, masquent, par leur prestige régional des hommes plus modestes que l'on peut retrouver au niveau d'un département, d'un canton ou d'une commune.

           

Plus de deux cents ans après les événements révolutionnaires en France, pourquoi appeler une thèse de doctorat universitaire « sous le bonnet rouge » ?

Depuis la Révolution, l’histoire de la Révolution s’est exprimée dans l’Ain à travers une abondante littérature étudiant essentiellement la trame chronologique et événementielle des faits, avec, toutefois, des manques, des oublis et des erreurs, fruits de la lacune de sources et d’une intention délibérée. Le bicentenaire de la Révolution n’a pas amené dans l’Ain de travaux nouveaux, de fonds, hormis des études innovantes sur les débuts de la Révolution. Ainsi, des questions n’ont jamais été posées et donc n’ont obtenues aucune réponse. Ces questions sont celles auxquelles on a essayé de répondre au cours des pages suivantes : quel est le espace et les milieux géographiques où se déroule et qui entourent la Révolution dans l’Ain ? Ces milieux ont ils une influence sur les hommes ?

De même, l’étude des circonstances dans les quelles évoluent les hommes, qui leur permettent à élaborer une identité, une idéologie et des pratiques révolutionnaires n’ont été que rarement abordées de manière problématique. Quelles sont ces circonstances, ces événements révolutionnaires qui évoluent par le jeu des hommes et des conséquences de la mise en place d’idéologie ? Si les circonstances amènent à militer pour la Révolution, sont elles toujours les mêmes ? Y a-t-il une évolution du poids et des conséquences de ces circonstances entre 1789 et 1816 ? Si oui, l’expérience révolutionnaire est elle la genèse d’une conscience politique au début du XIXe siècle dans l’Ain, d’une politisation ? Dès lors quel est le poids du Directoire et de la Restauration dans la politisation ?

Si une politisation apparaît, elle se traduit par une idéologie. En effet, depuis plus de deux cents ans, les sans-culottes de l’an II sont au centre de contradictions politiques départementales. Mais jamais la question de savoir qui ils sont n’a été posée ! Qui sont-ils ? D’ou viennent-ils ? Où vont-ils ? Agissent-ils suivant l’idéologie acquise suite aux circonstances de la Révolution ? Si oui, ont-ils un plan, un schéma politique ? S’ils ont une mentalité politique, leurs agissements forment-ils le fruit d’une matérialisation de la Révolution ?

Ya-t-il un seul schéma de militants révolutionnaires dans l’Ain entre 1789 et 1796 ? Evoluent-ils ou changent-ils ? S’il y a plusieurs types de militants révolutionnaires, quelle est l’idéologie des militants autres que les sans-culottes ?

Hormis ces militants, quelle est la Révolution des femmes qui les entourent ?

 

L'objet de ce texte, tiré de la thèse de doctorat d’histoire de l’auteur soutenue et obtenue avec mention honorable et félicitations du président du jury à l’Université Lumière Lyon II en septembre 2003, et de publications scientifiques de l'auteur, a pour but de mieux connaître les circonstances, les moyens et les acteurs de la décennie révolutionnaire dans un département charnière, entre Lyon et la frontière, à une période transitoire importante de la France, en répondant à ces questions. Pour cela, il nous faut suivre le parcours de la politisation populaire, conduisant au militantisme révolutionnaire, à travers l'influence de l'espace et le poids des circonstances sur les "bonnets rouges" du département. Après s'être demandé pourquoi et comment 10% de la population masculine du département de l'Ain entre en révolution, il convient de s'interroger sur la manière de le faire à travers leurs idées et les moyens dont ils disposent ou qu'ils mettent à leur disposition pour les appuyer. Ainsi, après avoir compris la perception et les pensées qu'ils ont d'eux, des autres, de leur rôle et des manières de conduire ou de suivre dans la Révolution, il est intéressant de connaître les militants révolutionnaires, dans leur vie quotidienne, avant et pendant la Révolution, mais surtout de connaître leur parcours politique pendant et après la Révolution.

C'est ce que nous allons essayer de faire dans les jours à venir. 

 

Jérôme Croyet

docteur en histoire

 



[1] Depuis le début du XXIe siècle quelques trop rares travaux universitaires abordent l’histoire de la Révolution dans l’Ain et de ses acteurs sous un angle scientifique et méthodologique. Nous tenons ici à citer expressement les travaux universitaires de Laurent Baryard sur les volontaires du district de Pont-de-Vaux qui continuent la voie ouverte par la thèse dont le présent ouvrage est issu tout en renouvellant une historiographie presque inexistante sur ce sujet.

[2] RUDE (Georges) : La foule dans la Révolution, page 206.

[3] FEUGA (Paul) : Luc-Antoine CHAMPAGNEUX ou le destin d'un rolandin fidèle, 166 pages, collection du bicentenaire de la Révolution Française, éditions lyonnaises d'art et d'histoire, Lyon 1991.

[4] FEUGA (Paul) : Ibid,  page 7.

Écrire commentaire

Commentaires: 0