· 

l'extraordinaire repas du général Sibuet

Benoît Prosper Sibuet est à Belley en 1773. S’il entre dans l’histoire par la grande porte comme général mort au champ d’honneur en 1813, il entre aussi dans l’histoire culinaire grâce à un repas extraordinaire pour nous, mais réalisable pour les contemporains de l’époque. Il signe cet exploit culinaire quelques temps avant son départ pour l’armée en 1791 : “lorsqu’il entra un soir dans la cuisine de Genin, aubergiste chez lequel les anciens de Belley avaient coutume de s’assembler pour manger des marrons et boire du vin blanc nouveau qu’on appelle vin bourru. On venait de tirer de la broche un magnifique dindon, beau, bien fait, doré, cuit à point, et dont le fumet aurait tenté un saint. Les anciens, qui n’avaient plus faim, n’y firent pas beaucoup attention ; mais les puissances digestives du jeune Prosper en furent ébranlées ; l’eau lui en vint à la bouche, et il s’écria : Je ne fais que sortir de table, je n’en gage pas moins que je mangerai ce gros dindon à moi tout seul. Si vous le mangez, je vous le paie ; mais si vous restez en route, c’est vous qui paierez, et moi qui mangerai le reste, répondit Bouvier du Bouchet, gros fermier qui se trouvait présent. L’exécution commença immédiatement. Le jeune athlète détacha proprement une aile, l’aval en deux bouchées, après quoi il se nettoya les dents en grugeant le cou de la volaille, et but un verre de vin pour servir d’entre acte. Bientôt il attaqua la cuisse, la mangea avec le même sang-froid, et dépêcha un second verre de vin pour préparer les voies au passage du surplus. Aussitôt la seconde aile suivit la même route : elle disparut, et l’officiant, toujours plus animé, saisissant déjà le dernier membre, quand le malheureux fermier s’écria d’une voix dolente : Hélas ! je vois bien que c’en est fini ; mais Monsieur Sibuet, puisque je dois le payer, laissez-m’en au moins un morceau. Prosper était aussi bon garçon qu’il fut depuis bon militaire ; il consentit à la demande de son anti-partenaire, qui eut, pour sa part, la carcasse ”.

 

Jérôme Croyet

docteur en histoire

Écrire commentaire

Commentaires: 0